17Oct2020

Les fées fâchées

En avril 2020, nos représentations de Cendrillon se sont transformées en citrouille. J’ai invité les élèves à ne pas prendre ça personnellement : d’abord parce qu’en scène la personnalité importe bien moins que l’humanité et que ce coup-ci nous étions justement embarqué.es dans la même barque étroite qu’une bonne partie de l’humanité. Même dans cette barque, il restait des fonds de cale moisis et du grand vent, selon le billet de départ qui nous a été assigné et nous n’étions pas les plus mal loti.es avec notre conte à métamorphoses et transformation. Mais dans cet univers, nous pouvions légitimement penser que les fées en avaient eu ras le bol : depuis le temps qu’elles observaient, consternées, notre aptitude à nous laver les mains de tout ce qui leur est cher (la vitalité des arbres, la puissance tellurique des sols, le son des ruisseaux, la variété des espèces sauvages, les mutations adéquates des becs des petits oiseaux…), elles nous ont condamné.es, juste retour des choses, à nous laver les mains au sens propre, à demeurer chez nous et non pas partout où nous croyons l’être, à renoncer à notre bruit au profit du printemps. D’ailleurs en quelques semaines, tous les carrosses du monde se sont transformés en citrouille. Et l’on a bien pu voir, que ce nous prenions pour de la magie, était en fait un simulacre.
Dans Cendrillon, la robe, le carrosse, les bijoux sont des leurres, des tickets d’entrée pour la haute société. Mais la vraie magie commence quand tout ce carnaval s’arrête. La Cendrillon de Pauline Viardot le dit justement : Quelle drôle d’idée pour un prince de vouloir une princesse, puisqu’elle le deviendrait en l’épousant !
La vraie magie consiste à regarder par terre, les citrouilles, les pantoufles et la fourrure des petits animaux. Alors, six mois plus tard, nous voilà dans la salle où nous devions jouer. Il y a des micros partout et le percussionniste est si éloigné du chef qu’on pourrait le croire sur une autre rive, et les deux chanteurs sur leur petite lagune de praticables, des psychopompes. Le valeureux professeur de la classe d’arrangement dépanne au toy-piano, le chef double la performance de l’enregistrement en deux brèves sessions d’un numéro d’improvisation d’agenda au fur et à mesure que tombe les annonces de confinement de cas contacts, une chanteuse remplace un chœur d’esprits… Mais finalement les fées apparaissent, poursuivies par des hordes de génies des eaux coiffés de casquettes à hélice que l’arrangement de la musique a montés sur des tricycles supersoniques, — le roi est demeuré tout le jour dans la salle obscure et froide, pour voir ça dirait-on — et quand les fées chantent, enfin, après tant de mois, d’incertitudes dérisoires pour notre petit projet chéri de tous et de toutes, quelque chose peut enfin trouver sa fin. La clôture des merveilles — titre emprunté, moment exact.

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