LEUR VOIX
Il y a quelques mois, j’ai écrit un spectacle sur les Rroms. C’est là que j’ai appris que ça s’écrivait avec 2 r. Carnets d’un disparu, basé sur l’opéra de Janacek qui porte presque le même titre. Ça n’a pas été simple. Non par manque d’interlocuteurs, de sources, de documentation, de désir ou d’idées. Par manque de légitimité. Tout à coup après des mois de travail, une partie de l’équipe a renvoyé mon premier monstre dans les cordes : “ On ne va quand même pas se faire passer pour des Rroms ? Qui sommes-nous pour parler à leur place…” C’était une interrogation légitime dans un processus de travail. Alors j’ai arrêté d’écrire, jusqu’au jour où je me suis aperçue que dans ma vie d’actrice, j’avais interprété des enfants, des vieillardes, une aveugle, plusieurs servantes illettrées, des fées, des veuves, des folles, des hommes, des pauvres, des reines… Je les avais interprétés, c’est à dire que j’avais été leur interprète de manière à ce que le public puisse comprendre ce qu’ils avaient à dire. J’ai donc repris l’écriture et la mezzo qui chantait la tzigane, faisait de la musique tzigane, parlait aussi en son nom de tzigane. Le ténor qui chantait le rôle de son amoureux gadjo parlait en sa qualité d’homme marié à une femme d’une autre culture et le pianiste, qui jouait leur enfant, revendiquait les deux cultures. En scène. Mais évidemment, j’avais la légitimité qui me démangeait un peu, alors même que tous les propos tenus visaient à ne pas compromettre la culture Rrom, à la faire mieux connaître, y compris dans ce qu’elle peut avoir de moqueur, de déstabilisant pour ceux qui, comme moi, “n’en sont pas”. À l’issue du spectacle, j’ai eu l’occasion d’évoquer cette question de légitimité avec une spectatrice, pédopsychiatre de profession, que je ne connaissais pas et qui m’a raconté l’histoire suivante :
Au moment des violents débats autour du Mariage Pour Tous, elle s’était trouvée dans un colloque où la question de l’homoparentalité avait été débattue. Des propos très hostiles aux couples homosexuels en tant que parents potentiels avaient été tenus. Cette dame me dit pudiquement qu’elle ne pouvait pas intervenir elle-même. C’est alors qu’elle a vu une collègue, fort bourgeoise et garnie d’enfants, élevés en bonne et due forme avec un papa épousé à l’église et à la mairie, prendre la parole. Et défendre avec intelligence, finesse et conviction la cause de l’homoparentalité. Une fois son allocution terminée, elle s’était excusée auprès de ma conteuse de ce qu’elle n’était pas la mieux placée pour parler de ce sujet. Et l’autre de répondre : ” Vous l’êtes, puisqu’on peut entendre votre voix, là où la mienne aurait été discréditée, sous-estimée, jugée partisane… Vous êtes notre voix.”