Sérail Soir 05/01/19
Un an plus tard, nous voilà à Reims pour la dernière reprise de l’Enlèvement. Première répétition sur le plateau avec les solistes et le choeur de l’Opéra de Reims : je m’aperçois que la scène d’ouverture s’est un peu empâtée. Elle a pris ses aises, la taille s’est épaissie — c’est normal avec l’âge — mais elle s’est également un peu oubliée , elle est légèrement sortie d’une trace nette et ce genre de jeu dans les gonds peut faire dérailler mollement mais sûrement le spectacle qui vient. Donc, je donne un petit tour de clé sur la première entrée d’Osmin et Pedrillo, précis et délicat : on ne voudrait pas écraser ce qui fait joint entre ces deux-là. La situation est simple : ils se retrouvent au milieu du plateau, avant le spectacle et sirotent des bières que Pedrillo a apporté, en regardant la salle, le public… C’est devenu trop potache, je propose à mes solistes l’idée suivante : la veille leurs personnages se sont encore disputés et ce sont des “ make-up beers ” que Pedrillo apportent pour remettre les compteurs à zéro entre eux. Nous reprenons la scène et le résultat de ma nouvelle consigne de jeu est… moyen. Je me demande ce qui cloche, parce que ça me semblait une bonne idée. Je vois bien que Nils, qui chante Osmin, Niels qui est mon ami, que je connais bien, a son air de viking chiffonné et ma première réaction est de me dire : il n’aime pas ce nouveau jeu. Notre mésentente me chagrine très subtilement… Je remonte sur le plateau pour insister un peu et là, Nils me dit : Do you really want imaginary beers ? Je ne comprends pas ce que ça vient faire là : il y a une scène d’ivrognerie au vin imaginaire dans le spectacle à la fin de l’acte II… J’ai beaucoup d’autres choses à regarder que mes deux clowns, je m’affaire un peu à modifier des tops, à parler aux choristes du Personnel du Sérail. Nous reprenons. Toujours pas convaincue, je reviens à nouveau vers Niels. Il insiste : Do you really want imaginary beers ? Je recommence posément mon histoire : ils se sont disputé la veille et les bières c’est pour… et je comprends que nous sommes au coeur du malentendu de traduction standard : “ make-up beers ” , ça ne veut pas dire des bières inventées, comme Nils l’a cru, mais des bières “ pour compenser ”, comme dans l’expression “ make-up sex ” , équivalent anglais de notre “ réconciliation sur l’oreiller ”. Nils comprend immédiatement “ make-up sex ” et on rigole bien, soulagé.e.s que nous sommes tous les trois.
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