MESSAGER Création le 10 novembre 2013 à l’Opéra de Limoges. Reprise à l’Opéra de Rennes en février 2014, à l’Opéra de Saint Étienne en novembre 2014
Direction musicale : Claude Schnitzler/ Laurent Touche
Mise en scène : Emmanuelle Cordoliani
Chorégraphies : Victor Duclos
Scénographie : Émilie Roy Costumes : Julie Scobeltzine
Lumières : Vincent Muster
Fortunio : Christophe Berry/ Antonio Figueroa
Jacqueline : Amel Brahim-djelloul /Bénédicte Tauran / Norma Nahoun
Clavaroche : Alexandre Duhamel/Marc Scoffoni
Landry : Christophe Gay/Thomas Dollié
Maître André : Franck Leguerinel/Didier Henri
Maître Subtil : Georges Gautier
Guillaume : Édouard Portal / Nicolas Bukavec
Lieutenant d’Azincourt : Martial Andrieu/Marlon Soufflet
Lieutenant de Verbois : Jean-Noël Cabrol/ Guillaume Rault
Madelon : Yeon-Ja Jung/Carine Audebert
Gertrude : Élisabeth Jean/Brenda Poupard
Photos Rennes ©Laurent Guizard
(RE)TROUVER FORTUNIO Dans une petite ville de province, la jeune épouse du notaire, sur le conseil de son amant, prend pour chevalier servant un jeune clerc de l’étude afin de détourner vers lui les soupçons de son vieux mari. La sincérité de l’amour du jeune homme, un peu poète, pour la dame aura tôt fait de détrôner l’amant en titre… Du chandelier à Fortunio : En 1835, dans le feu de sa rupture avec Georges Sand, Musset écrit Le Chandelier, pièce en trois actes, destinée initialement à la lecture. La même année, il écrit Les nuits, son chef d’œuvre, toujours considéré comme le plus représentatif du mouvement romantique français. En 1860, Offenbach, qui connaît bien la pièce de Musset, se voit confié par ses librettistes La chanson de Fortunio, opéra en un acte représentant le rôle titre vieilli, marié à son tour à une jeunesse courtisée par un clerc de l’étude. L’heure est évidemment à la satyre du romantisme : le mouvement a vieilli, son héros aussi et l’un comme l’autre sont cocufiés par la nouvelle génération en toute connaissance de cause. En 1907, Messager, bien au fait de l’opérette d’Offenbach comme de la pièce de Musset compose Fortunio, opéra en 4 actes et 5 tableaux, sur un livret des excellents Flers et Cavaillet, reprenant la version initiale. Le riche parcours musical de Messager : wagnérien convaincu, chef de la première de Pelléas et Mélisande à l’Opéra-Comique, élève de Fauré et de Chabrier, compositeur d’une quinzaine d’œuvres lyriques légères et d’une dizaine de ballets, lui permet de poser un regard à la fois délicat, drôle, léger et profond sur cette intrigue et ses personnages. 70 ans après la création du Chandelier, le temps n’est plus à la défense du mouvement romantique, ni à sa caricature, mais à une narration plus élaborée et plus psychologique. Pacifiée et enrichie, elle laisse la part belle à l’ironie du sort et à l’ambiguïté des désirs humains. Fortunio 63 : Il y a bien sûr, cet anniversaire de l’Opéra de Limoges qui est à l’origine de l’idée de la transposition en 1963. Mais il ne s’agit pas là d’un clin d’œil. Dans la province française d’avant 68, tous les thèmes de Fortunio sont encore présents et – c’est tout l’intérêt de la transposition – plus tangibles. Le conflit des générations, la bourgeoisie satisfaite, l’ennui, l’adultère classique, l’oppressante norme, les incontournables notables, la dictature du qu’en dira-t-on… Il ne s’agit cependant pas de réduire les subtilités mêlées de Musset et Messager à l’affrontement unilatéral des jeunes ( forcément novateurs ) et des vieux ( forcément dépassés ). Les vieux ont un jour été jeunes, les jeunes seront vieux bientôt, ce pourrait être la leçon fataliste des mutations littéraires et opératiques de Fortunio. Mais la musique de Messager nous entraîne plus loin : à voir l’entrelacs des contraires dans les personnages. La résignation de ce jeune héros, poète à ses heures, qui – contrairement à Musset – entre dans une étude notariale au lieu de suivre son talent. L’énergie passionnée de la jalousie de ce vieux notaire, qui considère pourtant sa femme comme sa petite fille. Le désir ultra-conformiste de cette fatale reine des cœurs de province pour un uniforme… La transposition permet aussi cela : de rendre visible que ceux qui sont là, ont été et seront. Maître André a lui aussi connu son heure de plaisir et d’amour, il y a eut naguère la guerre et la libération, on pourra s’en souvenir. Et l’on pourra aussi rêver que l’émancipation de Jacqueline ne connaisse pas de mesquine petite fin, une fois le choix de l’amant affiné, mais prenne le chemin pavé de fleurs et de paix de 1968. Il y a dans cet opéra des scènes d’extérieur, de foule, qui évoquent à présent Jacques Demy. Elles sont l’invention des librettistes de Messager. Elles feront la part belle à cette société du paraître, des signes extérieurs de richesse, de respectabilité, de normalité. 1963 : les jupes raccourcissent mais les préjugés ne diminuent pas, les mentalités avancent moins vite que les spider Giulia. Qu’importe : les trente glorieuses repeignent tout en rose . Mais il y a aussi dans Fortunio des scènes intimes qui peuvent parler, elles, leur Claude Sautet. Le vernis social acidulé du premier acte, a tôt fait de se fendiller dès lors que la porte est close sur la ville. Et alors, et alors, on peut voir comme par le trou de la serrure, de bien gros mensonges, des affects tout nus, des rêves d’enfants toujours bien vivants dans les adultes et aussi cette complexité des rapports humains : pathétique, étrange et touchante. En dépit de la pesanteur établie de la bourgeoisie de province, la Poésie, après une entrée timide, drapée dans son paletot rapé et idéal au premier acte, va trouver son chemin dans les cœurs et jouer pleinement son rôle. Et si la ville est vissée au sol, les esprits sont libres par-dessus les toits. Attention, ici, l’on rêve ! Emmanuelle Cordoliani