Hors-Sérail : du pied et des mains
Dans les derniers instants de notre appartement de Clermont, mon pied gauche s’est cogné dans une chaise — à moins que ce ne soit le contraire : révolte des objets gorgés d’amertume d’être bientôt retournés à leur propriétaire après un mois de cohabitation, de conversations, de contes et de fêtes —. Pas le temps de s’appesantir : une longue journée, déjà d’autres choses, m’attendait et j’ai filé à sa rencontre dans un taxi du dimanche — le taxi rarissime des périples trop chargés, une incartade presque, un luxe couleur de défaite —.
La plaie s’est révélée tardivement et fort sournoise. Pas de claudication, mais l’hiver de mon déplaisir. Pas de boiterie, mais à chaque pas une irradiante douleur. Pas la pas de poignard de la petite sirène, mais l’enflure des films de chercheurs d’or — sans sensationnalisme, mais laissez-moi là, je vais vous ralentir, je refuse l’amputaiton.
J’étais de guingois et l’horizon porteur de #touteslesroutes a brusquement tiré son rideau de fer. Les projets de marche ne voulaient plus dire une seule parole d’enthousiasme ou de consolation, le printemps me trouverait étrangère aux chemins dont la promesse avait jusqu’alors réchauffé le cœur de l’hiver. Le fil ténu qui peut par touches infimes lier le trajet en ville au pas du marcheur était rompu.
Refuser l’amputation n’a jamais empêché d’avoir les jambes coupées.
J’ai ralenti le groupe électrogène jusqu’au point d’arrêt.
J’ai filé un sérieux coup de main à mon pied blessé.
Depuis que la douleur s’est calmée et, avec elle, les monstres sédentaires, je commence à goûter à la suavité de la vie hors Sérail. L’image de Nastajia Kinsky dans Harem d’Arthur Joffé, de retour à New York. La voyante qui refuse de lire ses mains encore marquées au henné. Ma compagne. Avec ces mains-là, on écrit autrement, autre chose, et on voit comme si elles étaient des yeux sans paupières. Ces mains-là n’écriraient pas la Jeune Fille sans Mains. C’est déjà fait. Alors qu’est-ce qu’elles vont écrire ces mains-là, repoussées à nouveau, à présent ?…
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