Essai d’une dramaturgie féministe et prolétarienne d’Offenbach
Il faut se méfier de la fascination qu’exerce sur nous le charme discret de la bourgeoisie, et celui, plus discret encore, et par là même combien puissant, de l’aristocratie. Au XIXe siècle déjà, on se référait à l’Ancien Régime comme à un paradis perdu où régnait l’harmonie entre les maîtres et les serviteurs.
Anne Martin-Fugier, La Place des Bonnes — La Domesticité féminine à Paris en 1900
Dans le cadre de ma classe au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, où j’enseigne l’interprétation aux élèves du Département des Disciplines vocales, j’ai très tôt été confrontée au répertoire offenbachien. Confrontée, oui, puisque, venant du théâtre, j’en ai d’abord subi tous les clichés : vieillot, plus ou moins amusant, lourd… Cependant, Offenbach proposant par sa forme un des défis techniques et dramaturgiques les plus intéressants du monde lyrique pour ses interprètes : le passage de la parole au chant et du chant à la parole[1], ses œuvres étaient pour nous incontournables. On m’avait ressassé que nombre d’entre elles avaient été écrites pour des acteurs et longtemps je me suis dit que par acteurs on entendait « comiques, doués pour faire passer avec habileté des plaisanteries peu fines ». Pourtant, j’avais déjà l’intuition que pour ce répertoire comme pour le répertoire lyrique en général, le sapin de Noël de la tradition nous cachait une forêt moins clinquante, et de nombreux chemins. Je savais qu’il me faudrait me pencher sérieusement sur la question un jour, mais, alors même que je suis une metteuse en scène estampillée « de comédie », j’ai longtemps botté en touche sur Jacques Offenbach.
En 2013, j’ai proposé, avec l’historien du chant Pierre Girod[2], un atelier de recherche à Royaumont — Hugo : coup et contrecoups — où des artistes lyriques pouvaient rencontrer des universitaires autour de problématiques liées au XIXe siècle et plus particulièrement à la façon dont le romantisme du Salon Hugo/ Nodier, si bref, si violent, avait été digéré ou vomi par la société au cours du siècle. C’est Jean-Claude Yon[3] qui a remis à cette occasion Offenbach sur le tapis, pour ces parodies d’opéras romantiques. Il a recontextualisé les circonstances de création de ses œuvres : lieu, jauge, distribution, réécritures… Par ricochet, je me suis aperçue que les personnages de ses opérettes, étaient le plus souvent considérés ex nihilo, dans nombre de mises en scène détachées de tout contexte historique et social sérieux, ne se référant qu’au genre auquel ils appartiennent et qu’une fois qu’on avait établi l’équation Vice-Roi[4] = Napoléon III, tout était dit. On peut alors passer allègrement aux transpositions de personnes (Vice-Roi = Nicolas Sarkozy, Vladimir Poutine ou François Hollande) et de lieux (la ligne de l’Ouest[5]= Aéroport CdG) et l’affaire est dans le sac. La parole des personnages étant alors considérée comme une suite d’inepties, uniquement prétexte à la musique, le rire des salles d’opérettes ne salue plus qu’une bonne intelligence du public avec ce qui lui est proposé. Ce rire est très rarement une surprise, une défense, une explosion, une réaction épidermique et incompressible — effet qu’on pourrait légitimement attendre d’une satire, pourtant —.
Un jour, une de mes élèves a apporté l’air de la bonne dans Pomme d’Api (autrement dit : les couplets de Catherine), que j’avais déjà entendu bien des fois. Elle manifestait une grande répugnance à jouer ce qu’elle me proposait pourtant : une sorte de soliloque racoleur. Observant ce paradoxe, je me suis rappelée de passages entiers de l’essai d’Anne Martin-Fugier, La Place des Bonnes[6], que j’avais lu en préparant quelques années auparavant L’Amour masqué de Guitry et Messager[7]. En prenant en compte la parole du personnage de Catherine, en la recontextualisant sur un plan historique et sociologique, l’air « tenait ». Certes, il n’était plus « rigolo » et se rapprochait du pathétique de la Marie-Thérèse des Lequesnois[8], mais tout à coup quelque chose s’y racontait d’impitoyable, depalpitant, de vivant, où la chanteuse trouvait son compte, obligeant le spectateur à prendre un autre parti que celui de s’en moquer, bien calé au fond de son siège.
Si l’on y regarde de près, d’ailleurs, la situation désespérée Catherine ne devrait pas porter à rire : même s’il s’avère qu’elle a choisi cette maison, pour entrer en relation avec la famille de son amoureux, elle est à la rue depuis que ce dernier l’a quittée. Elle doit trouver une place ou dormi dehors. Elle arrive habillée en paysanne et joue un rôle. Mais ce jeu présente un certain nombre de paramètres, de risques qu’elle ne maîtrise pas : même si elle n’est pas une ingénue — elle vivait « à la colle » avec jeune homme depuis plusieurs mois —, ça ne fait pas d’elle une courtisane ni une fille facile. C’est pourtant l’interprétation qu’on demande très souvent aux sopranos qui chantent le rôle, alors qu’elle réduit à néant l’enjeu dramatique de la suite de la pièce et notamment le coup de provocation de l’air « j’en prendrai une, deux, trois, quatre… ». La maladresse de Catherine lors de cet entretien d’embauche en tête à tête avec un bourgeois d’âge respectable est assez compréhensible, quand on se réfère au chapitre de La Place des Bonnes concernant Le Placement[9]. On y comprend bien sûr que la plupart des bonnes parisiennes ne le sont pas, qu’elles débarquent de leur province — choix judicieux de Catherine de son habit de paysanne —. On y apprend également que les placeurs et les placeuses n’appartiennent pas toujours à une ligue de vertu et l’entretien que Rabastens détaille dans ses Couplets [10] laisse peu d’ambiguïté quant à ce qui attend la jeune femme qui entrera chez lui.
Pendant l’entretien, Catherine va bien sûr faire tout son possible pour être embauchée. Mais elle va également défendre des points d’honneur qui, sous-interprétés, peuvent sembler dérisoires à l’auditoire, prétextes à rire. Ils rendent cependant compte d’une réalité socio-historique et également du délicat équilibre entre la dignité et le compromis de quiconque vend sa force de travail et accepte une autorité en échange d’un salaire. Nombre des paroles de la bonne semblent à première vue anodines, voire bêtes, mais se révèlent de véritables revendications identitaires. Son entrée en matière est polie et formelle : Bonjour, monsieur… je suis la bonne/Qu’ vous attendez…
À quoi Rabastens ne répond pas (alors qu’il aura plus tard des interventions dans ces mêmes couplets). Mais son regard sur elle est immédiatement nommé, et cette deuxième phrase montre bien que c’est aussi (d’abord ?) un corps, une apparence sur quoi doit porter son choix : C’est bien moi, monsieur, la personne… Voilà ! Regardez !
Toujours pas de réponse de Rabastens, Catherine va donc mener seule son entretien d’embauche, là encore, il faut noter l’incongruité de cette situation — se mettre à sa place — et le malaise qu’elle va générer. (Un autre axe du travail de la scène : c’est celui de l’empathie. Il se combine à merveille à une lecture renseignée sur les données historique et sociologiques des situations. Nous avons toutes et tous déjà participé à un entretien d’embauche, nous connaissons bien la différence entre le professionnalisme et l’intimidation. Dans le travail théâtral, il est primordial d’associer aux situations des personnages, des équivalences issues de notre lecture personnelle et quotidienne des relations sociales, sans quoi on se condamne à un jeu hors-sol qui ne parlera au public qu’en citation et non en reconnaissance intime, physique, de ce qui se passe).
Après s’être montrée, elle va dire son nom. Et insister : Je vais vous dire, foi de Catherine, Qu’est mon p’tit nom, mon p’tit nom,
Il faut entendre cette répétition dans une société où les bonnes sont systématiquement rebaptisées pour toutes se fondre en une seule domestique qu’on remplace à loisir. Rose, Blanche ou Marie, le plus souvent. Ce qui est également un point tristement commun avec les prostituées renommables au bon plaisirdu client. Catherine n’est pas prête à s’appeler comme on voudra. Cependant, elle n’a pas un nom, comme une personne, mais un petit nom, comme un enfant. C’est d’ailleurs son statut juridique à cette époque, comme pour toutes les femmes, de reste[11]. Ensuite, Catherine va faire la liste de ses compétences. Rabastens avait une « femme de ménage », mais il veut une « bonne », comprendre : une bonne à tout faire, c’est-à-dire la domestique la plus exploitée puisqu’elle remplace à elle seule dans l’imaginaire de la petite bourgeoisie, toute la domesticité des aristocrates ou des riches bourgeois. Catherine va donc devoir cocher de nombreuses cases : ménage, lessive, intendance, menu secrétariat, accueil, cuisine…
Tout ce que j’ sais fair’ en fait de cuisine, Ça n’ s’ra pas long !/ /Les œufs à la coque, /en om’lettes, /Les œufs, les œufs sur l’ plat !/Les pomm’s de terr’ frit’s, lescôt’lettes, /Et puis voilà. Et puis voilà.
Rabestens : Et puis voilà
Catherine : Et puis voilà
Rabestens : Et puis voilà
Catherine : Et puis voilà
Il serait mal venu compte-tenu de ce cahier des charges de s’attendre à des miracles dans chaque domaine. Mais Rabastens va prendre la parole pour la première fois en lui répétant sa conclusion. J’invite à nouveau qui lit ces lignes à s’imaginer dans cette situation : la technique de l’imitation est particulièrement grossière. D’autant que dans le détail exhaustif des modes de cuisson des œufs, on perçoit bien que Catherine a conscience de ses limites en matière culinaire. Même si la simplicité de ce menu est son quotidien, c’est toujours autre chose que d’avoir à le proposer à un inconnu, à un employeur. Les interventions de Rabastens vont avoir un effet suffisamment déstabilisant pour nous faire basculer dans le refrain, sortir de la forme musicale initiée par Catherine, toute en croches et demies croches très enlevées. Cette bascule s’articule sur la première valeur longue chantée de la partition : deux noirs pour le seul mot MAIS. Catherine parlait jusque-là de savoir-faire, de compétence, d’elle on ne sait que ce qu’on doit savoir dans un entretien de cette nature, son nom. Après ce « mais », il ne va plus être question que de son caractère :
Mais j’ai bon cœur et pas mauvaise tête/Si c’est sur moi qu’ tomb’ votre choix,_ J’vous donn’rai tout/Tout ce qu’une fille honnête/Peut donner pour trent’ francs par mois.
Ce terrain est glissant. Son danger est marqué par le point d’orgue dans le silence qui interrompt Catherine après qu’elle a dit qu’elle donnerait « tout ». Il est presque une indication de jeu : on imagine aisément le type de lueur qui passe dans les yeux de Rabastens à ce mot. Tout le texte parlé et chanté précédent l’arrivée de Catherine laisse peu de place à l’ambiguïté des intentions de ce « célibataire de 39 ans pour les Dames ». Pour trancher, on peut se rapporter à l’article « Bonne » du Larousse du XIXe siècle : Bonne à tout faire : « expression employée souvent dans un sens malicieux, qui fait allusion à des fonctions inavouées ».
Bonne à tout laisser faire : « plaisant, soit pour accuser les servantes de paresse, soit pour exprimer leur penchant à ne rien refuser ».
Ce moment est également une forme de négociation salariale. Là où la prosodie de Catherine insiste sur son honnêteté et sur la maigre somme (pas plus que Victoria dans le film éponyme de Blake Edwards[12], elle n’est prête « à sacrifier sa vertu pour une demi-boulette de viande »), tandis que Rabastens répète à l’envi le mot « tout ».
Cette négociation va se poursuivre dans l’énumération continuée au second couplet des qualifications de Catherine.
Quant aux boutons, je sais les r’mettre, Je sais blanchir ;/ À la post’ j’ sais porter une lettre Et l’affranchir ! Pour les tapis, j’ sais qu’on n’ les s’coue/ Que dans les cours. / Sitôt qu’on sonn’ sans fair’ la moue, / Vite j’accours./ J’ouvre la porte et puis j’ la r’ferme / Quand on s’en va.
Elle n’est pas n’importe qui : elle sait coudre, faire la lessive du linge fin, elle sait lire et elle a connaissance des us et coutumes de la vie citadine, de ses règles, et des pratiques des grandes maisons… S’il n’est pas certain que le public d’aujourd’hui sache entendre cela, les interprètes de Catherine et de Rabastens, eux, ne peuvent pas l’ignorer : ce n’est pas rien ce qu’elle met sur la table. Cette connaissance historique de ce qui se dit peut seule leur permettre de faire de ces couplets une scène de théâtre, de savoir quels en sont les enjeux. Lui pourra toujours manifester un certain désintérêt susceptible de lui faire revoir ses prétentions à la baisse. Elle sait qu’elle n’est pas la seule sur le coup, elle l’a formulé dans le refrain : Si c’est sur moi qu’ tomb’ votre choix…
Ainsi ses revendications ne sont pas faciles à tenir et on voit qu’elle cherche à anticiper des reproches latents : sans fair’ la moue, Vite j’accours._ (…) _Je n’emploi’ jamais un mauvais terme.
Toutes les femmes connaissent l’injonction à sourire, au besoin, elle nous est verbalement rappelée par de parfaits inconnus dans la rue, au besoin. Passés ses compétences sur lesquels s’ouvre ce couplet, Catherine va insister à nouveau sur des aspects de son caractère : sa docilité, sa diligence, sa bonne humeur et sa politesse. Le retour du refrain, à l’identique, doit être pour les interprètes l’occasion de donner la mesure de ce qui a été gagné et perdu de part et d’autre. Le genre des Couplets, celui de la Romance, impose qu’on varie et même si on décidait de faire camper les personnages sur leur position, il y aurait un entêtement à faire entendre et voir dans le deuxième refrain. Les bonnes de la littérature et de l’opéra sont fréquemment montrées comme des servantes- maitresses, mais on peut légitimement se demander si cette domination n’est pas plutôt un fantasme des maîtres (les vrais). Et alors se pose à la mise en scène, à la direction musicale, la question essentielle de ce qu’on veut donner à voir, aujourd’hui…
Cette relecture des Couplets de Catherine par le prisme du travail d’Anne Martin-Fugier a marqué un tournant dans mon entendement des œuvres dites légères. Elle a été également une piqûre de rappel sur la tendance systématique à ne pas prendre au sérieux les réserves exprimées par les personnages féminins — dont on associe facilement les mœurs avec la légèreté des œuvres —. Enfin, et surtout, ce travail a remis au centre de ma dramaturgie la notion de classes sociales. Gardons en tête que la Vie parisienne était un des rares ouvrages français de cette époque qu’on avait continué à donner en URSS aux heures les plus sombres du stalinisme…. comme une critique ostentatoire du monde capitaliste. Les domestiques ne sont pas le public de l’opérette : il suffit là encore de se référer à leurs emplois du temps détaillés par Anne Martin-Fugier[13] pour comprendre simultanément pourquoi elles ne vont pas au théâtre et pourquoi on les y représente le plus souvent comme des abrutis et/ou des fourbes. Abruties, avec des journées des journées de travail pouvant aller jusqu’à seize heures, ils le sont, sans doute possible. Pour ce qui est de la malhonnêteté, voire de la noirceur d’âme, il est intéressant, là encore de se référer aux faits[14] afin de dégager ce qui est de l’ordre du fantasme des maîtres et de la réalité des tribunaux.
J’ai creusé ce sillon dans un atelier au CNSMDP, Autopsie du Domestique. Puis, plus récemment dans une mise en scène de La Vie Parisienne. La force de la comédie, c’est l’accès qu’elle offre — et exige — à des formes de théâtre multiples. Ironie, cynisme, burlesque, pathétique, absurde… le genre est fondé sur le malentendu, sur le culte très humain de la mauvaise idée choisie pourtant et poussée à son terme, non pas par un souci moral, mais plutôt par un engrenage social. Si le public rit, il n’en va pas de même pour les personnages qui traversent généralement une crise sans précédent. Or une confusion s’empare trop souvent des interprètes qui cherchent à faire rire et oublient d’être drôle[15] — au sens belge du terme : pas comme d’habitude, mal à l’aise, pour une raison indéfinissable[15]. — La recontextualisation historique et sociale appliquée aux rapports entre les personnages amène les interprètes à un jeu collectif, brutal ou très décalé, mais dégagé du cliché amusant, de son bruit, de sa complaisance.
Cette lecture participe à inscrire le répertoire offenbachien dans une lecture contemporaine. C’est-à-dire féministe et prolétarienne. Si nous ne voulons pas cantonner le répertoire lyrique au musée et à la dissection universitaire, cette inscription dans ce qui fait aujourd’hui notre monde me semble incontournable. Ainsi, l’écriture de Jacques Offenbach et de ses librettistes en sa riche teneur germinative aura un rôle à jouer dans l’invention d’un XXIe siècle.
Nous sommes toutes hantées de multiples fantômes. Parmi ceux-ci, le plus prégnant est celui de la dévouée servante. Faire le portrait des bonnes de « nos » grands-mères — si nos grands-mères avaient des bonnes — ce n’est pas tracer l’arbre généalogique des femmes de ménage actuelles, ce n’est pas évoquer avec nostalgie les familles bourgeoises du siècle dernier, mais c’est rendre visible la bonne qui vit en chacune de nous, restituer ses traits au fantôme pour le regarder en face et commencer à la congédier.[17]
[1] J’étais moi-même élève au CNSAD quand s’y élaborait le n°4 de la Série Apprendre des éditions Acte Sud : De la parole au chant. Une réflexion collective autour de la voix parlée et de la voix chantée chez l’acteur.
[2] Pierre Girod : Les Mutations du ténor romantique : contribution à une histoire du chant français à l’époque de Gilbert Duprez (1837-1871)
[3] Jean-Claude Yon qu’on ne présente plus, et qui venait de publier coup sur coup : Une Histoire du théâtre à Paris de la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Aubier, 2012, 437 p. Et Théâtres parisiens : un patrimoine du XIXe siècle, photographies de Sabine Hartl et Daniel-Olaf Meyer, Paris, Citadelles et Mazenod, 2013.
[4] In La Périchole.
[5] in La Vie parisienne , du même.
[6] Anne Martin-Fugier, La Place des Bonnes — La Domesticité féminine à Paris en 1900 Paris : Grasset, 1979.
[7] L’Amour masqué Messager/Guitry. Février 2009 à l’auditorium du Musée d’Orsay.
[8] Allusion à La Vie est un long Fleuve tranquille du cinéaste Étienne Chatiliez 1988
[9]La Place des bonnes — La Domesticité féminine à Paris en 1900. Anne Martin-Fugier :
Si la jeune fille qui « monte » à Paris n’a aucun lien, aucune relation, aucune recommandation, elle va, dès sa descente du train, devoir se défendre. (…) Autour des gares rôdent des racoleurs envoyés par les bureaux de placement. Ceux-ci cherchent à profiter de la naïveté des arrivantes. S’ils les emmènent dans un bureau de placement pour leur trouver une vraie place de domestique, elles peuvent se considérer heureuses. En général, c’est plutôt comme prostituées qu’on veut les engager. Afin de préserver les jeunes voyageuses que personne ne vient accueillir à la descente du train s’est créée l’Œuvre des gares, en 1905. L’Œuvre envoie, à l’arrivée des trains de province dans les grandes gares parisiennes, des dames de bonne volonté, qui réceptionnent les jeunes filles et les jeunes femmes seules, avant qu’elles ne se fassent accoster. Les agentes portent sur l’épaule un ruban jaune et rouge.
[10] Pomme d’Api Acte I, 1 : COUPLETS. I.
L’employé m’a dit : De quel âge /Cher monsieur, la désirez-vous ? /De la ville ou bien du village ? / Nous en avons pour tous les goûts ! /Jeune ou vieille, grande ou petite, /Nez grec, aquilin ou pointu ? /Je suis pressé… répondez vite. / Et vite, moi, j’ai répondu :/Pourvu qu’ell’ soit jeune et jolie / Pourvu qu’ ce soit dans les prix doux, Bref pourvu qu’ell’ soit accomplie /J’ m’en rapporte entièr’ment à vous ! II. L’employé m’a dit : /Autre chose : /Et’s-vous chipotier sur l’honneur ? / Voulez-vous un bouton de rose ? /Ou voulez-vous la rose en fleur ?/ Nous en possédons de petite, /De grande et moyenne vertu. / Je suis pressé, répondez vite !/ Et vite, moi, j’ai répondu : / Mon Dieu ! J’ veux bien qu’ell’ soit honnête, /Mais, vous savez, dans les prix doux !
[11] Le code civil français de 1804, qui a inspiré les droits civils dans de nombreuses démocraties, rédigé sans que les femmes aient leur mot à dire, a ensuite fait de la femme mariée une “mineure civile” — de la célibataire une étrangeté. Cette inégalité des personnes en vertu du sexe déclaré à l’état civil, a été à l’origine de mouvements, qui à partir de la fin du XIXe siècle, ont été désignés sous le terme de féministes. Les luttes issues de ces mouvements ont, progressivement, fait reculer la domination masculine dans le droit. »— Françoise Gaspard, Les enjeux internationaux de la parité, 2000.
[12] Victor Victoria est un film musical américano-britannique réalisé par Blake Edwards et sorti en 1982. Il s’agit du remake du film allemand Viktor und Viktoria de Reinhold Schünzel, sorti en 1933
[13] La bonne a droit au repos entre dix ou onze heures le soir jusqu’à six ou sept heures le matin. Là-dessus, elle doit prendre le temps de faire sa toilette, nettoyer sa chambre, raccommoder son linge. Elle a droit à une sortie le dimanche ou une sortie tous les quinze jours, de quelques heures. Et encore cette sortie n’a-t-elle souvent lieu qu’après un repas de famille particulièrement lourd le dimanche, et une vaisselle en conséquence. La Place des bonnes — La domesticité féminine à Paris en 1900. Anne Martin-Fugier
Voir à ce sujet à la page 114 du chapitre Les Tâches, l’édifiant emploi du temps rédigé par Mme Davaine, avant 1914…
[14] Les meurtres ou tentatives de meurtres perpétrés sur la personne des maîtres par les domestiques ont eu dans l’opinion publique un retentissement qui était sans rapport avec leur importance réelle. En effet, le public les ressentait comme directement représentatifs des menaces que les domestiques faisaient planer sur les maîtres et par là même sur l’ordre social. Mais ce sont là des actes exceptionnels. Si les domestiques apparaissent sur les bancs des assises, c’est plutôt pour avoir tué leur enfant nouveau-né que leur maître. In Jusqu’au crime ? La Place des bonnes — La domesticité féminine à Paris en 1900. Anne Martin-Fugier
15 Être drôle| Vie parisienne Article du blog Écoles. Emmanuelle Cordoliani
http://www.emmanuellecordoliani.com/etre-drole-vie-parisienne/
[16] CNRTL : Drôle 2- un air drôle. Quasi-synon. bizarre, singulier, insolite; anton. normal, ordinaire.Je te trouve toute drôle depuis quelques jours!… qu’est-ce que tu as? (Gyp, Pas jalouse,1887, p. 297).Et puis, tout ça m’est égal. C’est drôle comme tout m’est égal (Duhamel, Nuit St-Jean,1935, p. 219): 2.Tu es une bonne femme, qu’il dit, faut que tu partages ma honte. Le plus drôle, monsieur, c’est que je le crois. Misère de misère! une épouse qui n’a rien à se reprocher, pas ça… Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1504.
− Être, devenir, se sentir pas comme d’habitude, mal à l’aise,
(Quasi)-synon. (tout) chose :
3. Depuis que je suis mariée, je me sens drôle, mal à l’aise, comme dans une robe mal coupée,
qui vous gêne sans que l’on sache exactement à quel endroit. Montherlant, Les Lépreuses,1939, p. 1531.