Hier, je suis rentrée au Sérail par une porte dérobée. Une porte de temps et non de mots, comme celle des 40 voleurs. Une porte à obsolescence programmée : celle qui ouvre et ferme notre fugitive collaboration avec le Ballet d’Avignon.
Officiellement le Sérail a fermé ses portes à Clermont, au soir du 15 Janvier. Mais dès le lendemain Victor en développait la vie latente, inventant, veillant sur elle… Parfois au point de se confondre avec la servante qui brille dans la nuit des théâtres. Il était sur le pont, avec quatre danseurs et quatre danseuses. Farandole et danse macabre, pour le Cabaret, il instruisait nos Freaks, mais hier, au Sérail, ce sont des Djinns qui m’ont sauté aux yeux. Ça danse, oui. Surtout, ça vie sa vie de Ça, qui n’a pas de nom énonçable mais qui est là tellement, endossant tous les costumes et s’en défaisant en mues infinies de muses infinies. J’ai laissé la Jeune Fille sans Mains avec sur les lèvres l’histoire à venir des gens de la forêt, ces personnages entrevus dans le Komorebi, et voilà que je voudrais écrire celle de chacun de ces visages qui s’éclairent ou se masquent devant l’ombre du Pacha Selim, que j’ai jetée sur mon dos pour traverser le plateau. La ramification murmurante des petits personnages. Le passage de ces passagers-là, qui quelques soirées coïncidera à l’évènement qui se joue sur le toit du Sérail, est déjà une empreinte profonde et légère dans l’histoire que nous racontons, rebrodons, reprisons, reprenons…
L’idée d’infinie est consubstantielle aux 1001 nuits / Borges
Plus je les regarde bouger, attendre, vivre, le grand miroir dans mon dos et moi de l’autre côté, plus le livre s’épaissit entre mes bras.
Nous — Victor, Julie, Émilie et moi — sommes habitué.e.s aux fantômes. Dans chaque œuvre, nous les convoquons, quant ils ne s’invitent pas d’entrée de jeu. Dans Fortunio, quelques-uns se mêlaient déjà à la fête d’anniversaire de Jacqueline. Les instants passés avec les différent.e.s artistes qui les ont incarnés au fil des reprises ( Comédien.ne.s ou choristes ) était le cœur de notre travail. Le cœur secret, le coeur cousu. Ces artistes ont brodé de leur or et leur précieux ces personnages passionnés et discrets, au sujet desquels on ne nous a presque jamais rien demandé.
Par la grâce de Victor, nos Djinns d’Avignon dansent une autre danse que celle des fêtes publiques ou privées de Sélim. Un rituel enfoui dans les sables, dont ils sont le(s) génie(s). Ils sont d’avant. De tout le temps. Ils sont ce qui advient quand on imite le bruit du vent, quand on est surpris à la vue de sa propre main dans le miroir, quand un visage familier effleure d’un coup d’aile un.e inconnu.e qui danse devant vous pour la première fois.
Je les ai aimé.e.s et regretté.e.s immédiatement : tou.te.s manquent déjà toujours au Sérail. Qui les retient.