14Apr2017

AVEC PAULINE VIARDOT

Y Li : Quelle est la place de Pauline Viardot dans votre parcours artistique ?

Emmanuelle Cordoliani : C’est une place assez importante, parce que c’est une place qui va avec mon engagement dans le féminisme c’est-à-dire l’égalité entre les hommes et les femmes. J’ai découvert Pauline Viardot trop tard, comme tout le monde la plupart du temps, parce qu’elle devrait être plus connue qu’elle ne l’est compte tenu des contributions très importantes qu’elle a faites, à la fois comme interprète, comme collaboratrice auprès des compositeurs pour la prosodie, comme musicologue avec les choses qu’elle a elle-même exhumées/rendues célèbres, puis enfin comme compositrice. Donc quand je suis tombé sur elle je me suis dit « Mon dieu pourquoi je ne la connais pas mieux ? » Ça m’a aussi permis de me rendre compte que beaucoup de femmes artistes du XIXe siècle ont été complètement occultées, alors qu’elles étaient des femmes-centres dans leur activité. Ensuite, plus concrètement, j’ai mis en scène à l’auditorium du musée d’Orsay Cendrillon, l’opéra pour piano que Pauline Viardot a écrit pour ses élèves. Puis, régulièrement, j’ai ajouté dans mes spectacles certaines de ses mélodies et j’en ai fait travailler lors de masterclass de mélodie française que je donne à l’étranger.

Y Li : Qu’est ce qui vous inspire chez elle, que vous trouvez singulier ?

E. C : Ce qui m’inspire c’est qu’elle est inspirante (!) et qu’elle en a inspiré beaucoup avant moi. Lorsqu’on lit sa biographie (car maintenant elle est très bien « biographiée », même la correspondance de son mari avec Tourgeniev, qui était l’amant de Pauline et leur voisin, a été publiée !), on remarque qu’elle n’a pas seulement une énergie qu’elle déploie, mais surtout qu’elle est une énergie. Donc elle inspire des compositeurs.

Un autre aspect très inspirant, c’est la façon dont elle sait faire de ses faiblesses, des qualités. Elle est la sœur de La Malibran, qui cette chanteuse exceptionnelle et très belle. Ce qui n’est pas le cas de Pauline Viardot : son professeur de composition Camille St-Saens l’appelait la « belle laide ». Il y avait une beauté qui emmenait d’elle, lié à sa force d’âme et sa constance d’esprit. Elle avait une capacité à entreprendre dans l’enthousiasme, qui la rendait assez irrésistible. En effet elle a eu beaucoup d’amant et très talentueux. Pour elle, il n’y a pas de barrière entre la vie qu’on mène et l’art. Elle a eu beaucoup de longues amitiés et ça, c’est aussi très inspirant. L’amitié est une valeur au cœur de son parcours, et dans les moments difficiles, elle est toujours soutenue. Elle a su créer un réseau de femmes à une époque où, culturellement, les hommes se mettaient beaucoup en réseau, mais pas les femmes. Donc elle est amie avec des compositeurs, mais aussi avec des compositrices (Clara Schumann), des poétesse, des autrices ( George Sand ), etc… Elle ne met pas les femmes de côté, même si les autres femmes n’ont pas forcement la visibilité et la combativité qu’elle a.

Et ce qui est essentiel et que j’aimerais que tous les étudiants du conservatoire possèdent, c’est sa capacité à se renouveler. Elle va chanter un certain temps, et à un moment donné, elle va arrêter parce qu’elle a fait le tour d’un certain milieu, avec des choses qui lui déplaisent, puis elle va faire autre chose, devenir un grand professeur par exemple, et pour moi c’est aussi une leçon. Elle va aussi écrire de la musique, pour les autres, pour faire plaisir, faire de la mise en scène… cette capacité à se renouveler dans la vie professionnelle comme amoureuse. Sans pour autant jamais se perdre de vue.

Y Li : Après votre projet pour l’Université Populaire de la musique Cendrillon s’en va-t-à l’Opera que pensez-vous de cet opéra de salon ?

E. C : Dans ce projet on a donc mis côte à côte différents extraits de Cendrillon. J’ai choisi deux compositeurs, Nicolas Isouard et Massenet, en plus de Pauline Viardot. Je ne fais pas souvent ça : associer des compositeurs et des compositrices du XIXe siècle dans le même concert. C’est souvent injustement défavorable aux compositrices cette comparaison. Robert et Clara Schumann, par exemple, n’ont pas du tout composé dans les mêmes conditions, alors au-delà de la question du génie qui sert de réponse fourre-tout à la grande question : pourquoi y-a-t-il si peu de compositrices et si peu de « bonnes » compositrices, il faut quand même avoir l’honnêteté de considérer le temps et les moyens attribuer aux unes et aux autres. Pour Pauline Viardot, son union avec un Louis Viardot très compréhensif et soutenant la carrière de sa femme, rend la comparaison moins cruelle. Cependant, j’ai quand même été surprise de voir à quel point cette cohabitation des trois compositeurs se faisait simplement, pour le plaisir de tous et sans jugement puisque l’histoire se racontait et que cette narration était enrichie par les couleurs différentes apportées par chacun. Interview de Yi Li dans le cadre de son TEP sur Pauline Viardot.

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