QUEL EST LE PROTOCOLE ÉROTIQUE DU COUPLE FORMÉ PAR PANDOLPHE ET MME DE LA HALETIÈRE ?
Hypothèse 1 : Réglé comme du papier à musique
On sait que les deux protagonistes se sont mariés d’un commun accord (la notion de consentement reste, aujourd’hui encore non négligeable) et dans une parfaite honnêteté. L’un ayant besoin d’un nom qui lui ferait accéder aux hautes sphères, l’autre, d’un pécule pour subvenir aux frasques de sa vie quotidienne ainsi qu’à celles de ses enfants. Les deux « partenaires » ayant déjà des enfants d’un premier mariage, nul besoin de prétexter à la conception d’un héritier pour sceller l’engagement. Le couple ne subit donc aucune forme de pression ou d’obligation à entretenir des rapports conjugaux, si ce n’est celle de leur propre désir. C’est là que l’affaire se complique… Nous connaissons tous Mme de la Haletière et son besoin maladif de contrôler les faits et gestes de son entourage. Dès le lendemain de leur nuit de noces, elle élabora un tableau périodique, non pas des éléments, mais de la fréquence de leurs entrevues. Ce planning serait reconduit chaque début de mois sur une cadence de deux rendez-vous non modifiables ou reportables. Les 9 et et 30 donc, Pandolphe devait se présenter à la porte de son épouse vingt minutes exactement avant l’heure du souper. Elle ne tolérait aucun retard. Qui aime manger sa soupe à moitié froide ? Le protocole était établi : un maximum de deux baisers échangés, un avant et un après, mais à la condition exclusive que Pandolphe fut rasé de très près, car le contact brûlant d’une barbe naissante lui fait horreur. Les vêtements, par ailleurs, devaient être impeccablement repassés, et exempts de couleurs vives susceptibles de détourner l’attention. Le mari était « invité » à conserver ses chaussettes, pour éviter tout contact déplaisant avec un éventuel ongle mal coupé ou bien des orteils gelés. Une fois installée, Madame de la Haletière renversait le sablier posé sur la table de nuit et ils contemplaient, pendant les vingt minutes suivantes, le sable rose glissant contre les parois de verre. Je les soupçonne d’avoir pour mois favori celui de février, et ses vingt-huit petits jours !
Hypothèse 2 : Orgasme culinaire ou le fruit défendu
L’alimentation révèle le lien du sujet à son plaisir. Elle raconte ce qui, sur le plan inconscient, fonde sa modalité de jouissance. Pandolphe et Mme de la Haletière ont ce péché en commun qu’est la gourmandise. Il est plutôt salé, elle sucré. Tout commence un soir à la fin du repas, les filles dorment chez une amie, Cendrillon s’est écroulée de fatigue au grenier. Ils ne sont pas mariés depuis très longtemps et peinent à communiquer. C’est alors que Madame se saisit d’une brioche fourrée, la porte à sa bouche, croque à pleines dents… le chocolat fondu se répand inévitablement. Silence de mort… Pandolphe attrape alors la saucière remplie de crème anglaise, la positionne à quelques centimètres au-dessus de sa bouche puis verse précautionneusement. Le liquide déborde de l’orifice, et glisse, mouillant sa barbe soyeuse. Madame est pétrifiée, le chocolat coule le long de son cou jusque dans la rigole de son décolleté. Un temps. Dans le même silence, tous les deux se saisissent à pleines mains des pâtisseries alentour sans se quitter des yeux. Ils dévorent, mâchent la bouche ouverte, déglutissent bruyamment, aspirent, suçotent avec des grognements de plaisir. Leur jouissante boulimie les étouffe.
Pas de contact. Manger et regarder manger l’autre, les sens en éveils, le corps moite, la respiration saccadée. Au terme du dîner, aucun manque ne subsiste, ils sont complètement rassasiés.
Hypothèse 3 : It’s a match !
Plaçons nos sujets dans les temps modernes.
Ils se sont rencontrés lors d’un rallye organisé par la tante d’Hortense et Colombe, puis se sont croisés au premier rang d’un match à Roland Garros. Une autre fois pendant un cocktail d’inauguration à la fondation Cartier et pour finir sur le bateau d’un ami commun au Cap-Ferrat. Lui, a monté sa boîte à Paris il y a cinq ans, elle, niçoise, est une vraie pro du Pilates et de la déco d’intérieur. Elle se verrait bien proposer ses services aux Russes qui emménagent près de la propriété. Il l’emmène boire du champagne au Royal-Riviera quand il descend dans le sud pour les affaires. Pour la demande en mariage il a sorti le grand jeu : virée au Casino à Monte Carl’, puis promenade en mer sur un bateau loué chez Arthaud Yachting, bague cachée dans le fondant au chocolat, bref la totale. Ça fait maintenant huit ou neuf ans que les feux d’artifice se sont transformés en pétards mouillés. Ils ont tout essayé, les jeux de rôles, les clubs échangistes, la baguette de la Fée… rien. Plus de petite flamme.
Alors un jour, en secret, chacun s’inscrit sur un site de rencontre spécialisé dans l’adultère (mais un bien, hein ! Ceux où on peut choisir la catégorie sociale avec laquelle on va tromper son conjoint. Les voilà tous les deux en train de se créer un faux compte avec une nouvelle identité, des photos de mannequins brésiliens et des pseudos d’agents du SVR : on est jamais trop prudent, c’est un tout petit monde, vous savez.)
Et ce qui devait arriver arriva, Natalia et Victor ont matché. Le flirt s’initie, puis s’intensifie. Ils passent leurs journées à s’écrire tout ce qu’ils ont envie de se faire, l’un caché dans le dressing, l’autre dans les toilettes à l’autre bout de l’appartement. Vont-ils un jour se donner rendez-vous ?
POURQUOI LE COUVRE-FEU DE CENDRILLON A-T-IL ÉTÉ FIXÉ À MINUIT ?
Hypothèse 1 : La fée avait d’autres fers au feu
Elle souhaitait au départ faire en sorte que Cendrillon soit transformée jusqu’au petit matin, pour lui laisser le temps de se faire remarquer, mais elle a dû écourter le sort incantatoire quand un de ses sylphes — doté de visions en temps réel — lui a transmis le message que Merlin, son prochain sujet, était en difficulté. En effet, Cendrillon n’est pas la seule à être malmenée par sa « famille ». La fée s’est trouvée
dans l’obligation de s’arrêter à deux phrases de la fin du sort. Ce qui a raccourci de moitié la durée de celui-ci. CQFD.
Hypothèse 2 : La Fée vit un décalage horaire permanent
Dans le monde des fées, il n’y a pas de notion du Temps. La fée ne dort jamais, ne mange pas, ne boit pas. C’est un personnage issu d’un monde magique. Malgré son étude poussée des fonctionnements humains, elle ne vivra jamais à leur place, par conséquent les contraintes imposées par la vie réelle peuvent lui échapper par moment. Le choix d’un sort éphémère aura permis d’arriver à la date butoir de minuit. C’est le fruit du hasard. Il est vrai qu’elle aurait pu tout aussi bien choisir 23 h ou 2 h du matin pour faire partir Cendrillon en catastrophe.
Après ce coup du sort, la Fée est assez satisfaite de cet horaire. Fine psychologue, elle sait qu’il faut savoir se faire désirer : les retrouvailles n’en seront que plus intéressantes !
La pantoufle, parfaitement confectionnée pour le pied de Cendrillon, en le rendant unique dans le royaume, permet au Prince de la retrouver sans trop de difficulté. La fée le sait. Ce contretemps ajoute au mystère de la jeune inconnue du bal et augmente d’autant le désir princier.
Hypothèses 3 : La Fée portée pâle
La fée, malade, n’a pas pu se rendre sur place ce soir-là. Elle a envoyé un de ses seconds à sa place pour donner le sort. De plus, fiévreuse, elle s’est trompée de baguette. Sur place, son envoyé s’en est rendu compte et il a réussi à proposer un sort de sa façon. Encore en phase d’apprentissage, il n’est pas autorisé à se risquer à des sorts dont la durée excèderait le temps d’un tour de cadran, dans un souci évident de sécurité. Quand la maîtrise de la magie n’est pas parfaite, les conséquences peuvent être terribles. En bricolant son sort dans les règles de l’apprenti, il ne s’est pas rendu compte qu’il ne laisserait que peu de temps jusqu’à minuit.
LORSQUE CENDRILLON S’ENFUIT À TOUTES JAMBES DU BAL, COMMENT FAIT-ELLE POUR NE PAS BRISER EN MILLE MORCEAUX SES PANTOUFLES DE VERRE ?
Hypothèse n° 1 : Des chaussures pas si fragiles qu’on pourrait le croire.
Cette paire d’escarpins serait une création originale de Christian LOUBOUTIN confectionnée avec l’aide de fées. Le talon est de quartz brut, la semelle constituée de verre trempé, ce qui lui confère une solidité incomparable. En dessous, le patin et la base du talon sont formés d’un verre élastique présentant une rare texture caoutchouteuse. Ils sont incrustés d’innombrables rubis, signature du maître © LOUBOUTIN, qui permettent une accroche au sol optimal. Le dessus de la chaussure est réalisé à partir d’une fourrure extrêmement douce provenant d’un vison invisible vivant dans quelques rares clairières du pays des fées. Ceci confère aux escarpins un porter délicat et agréable. Le tout forme une paire de véritables pantoufles à talon très élégante. D’une solidité remarquable, elles sont garanties à vie. Malheureusement, Cendrillon, peu habituée à ce type d’objet d’art, dévala les escaliers d’apparat du château perdant l’une des précieuses chaussures.
Hypothèse n° 2 : Elle aurait utilisé un moyen de transport.
La demoiselle était arrivée avec des chaussures trop fragiles. La bonne fée, constatant qu’à 23 h 30 l’ambiance était à la fête pour la petite Lucette, d’un coup de baguette, déposa une trottinette magique en libre service devant la salle de bal. La malheureuse enfant se rendant compte qu’il était minuit, dut s’enfuir sans perdre de temps et perdit l’une des précieuses chaussures dans l’escalier d’honneur : les freins ne fonctionnent jamais sur ce type d’engin.
Hypothèse n° 3 : Elle aurait enlevé ses chaussures.
Cendrillon s’apercevant qu’il était minuit à l’instant T, dut s’empresser de fuir la salle de bal. Ni une ni deux, elle prit la poudre d’escampette, mais les merveilleux escarpins ne permettant pas de courir facilement, elle les ôta de ses pieds et en fit tomber un dans la débâcle.
QUEL EST LE LIVRE DE CHEVET DE MADAME DE LA HALTIÈRE ?
Hypothèse 1 : Orgueil et préjugés, de Jane Austen
Le caractère de Mme de la Haltière ainsi que son éducation laissent à penser que c’est une femme qui aurait été éduquée aux grands classiques de la littérature européenne. Enfant, elle aurait ainsi dévoré Orgueil et préjugés de Jane Austen — en langue originale —, se rêvant l’indépendance d’Élisabeth et la beauté foudroyante de Jane. Mais adolescente, les Charles Bingley qu’elle rencontre l’ennuient, elle rêve à des amours complexes avec un Mr Darcy qu’elle ne rencontrera jamais, lui. Adulte, elle embrasse les grands thèmes de l’œuvre : le mariage, l’argent. La clé de voûte de son avenir : le mariage de ses filles. Elle met ainsi tous ses efforts à garder un port altier dans ses manigances dignes d’une Mrs Bennett avec laquelle pour rien au monde elle ne souffrirait la comparaison.
Hypothèse 2 : Le mensuel Art et décoration
Mme de la Haltière est une femme occupée qui gère sa maison d’une main de fer. Rien ne doit dépasser, tout doit être préparé, décidé, minuté comme en témoignent les petites horloges stratégiquement placées à chaque endroit de la maison susceptible d’inciter à l’oisiveté. Quand tout sera parfait, que le jardiner aura enfin arrangé les roses, qu’on aura fait quelque chose du petit débarras du rez-de-chaussée, que les deux nouvelles vasques de la salle de bains des filles auront été posées… alors elle pourra appeler la revue pour leur proposer une visite de la maison. Ainsi ses efforts payeraient : chacun verrait combien son goût est irréprochable. Chaque soir avant de s’endormir, elle jette donc un coup d’œil sur la demeure des autres, en attendant son tour.
Hypothèse 3 : La loi du rêveur, de Daniel Pennac.
Quel est le rapport de Mme de la Haltière avec son imagination et le domaine des rêves ? Où voyage-t-elle quand les yeux fermés ouvrent toutes les frontières, que le corps léger ne connaît plus le temps ?
Chaque matin : la désillusion ; Pennac a beau dire que c’est de la broderie, que les frontières entre le « vrai » rêve et celui qu’on s’invente au matin sont poreuses, rien à faire : chaque matin, elle sort le carnet, essaie, s’agace… rien du tout.
Mme de la Haltière, passionnée de littérature, oserait peut-être se rêver écrivaine, si tant est qu’elle fût capable de faire preuve d’imagination. Mais comme déjà les rêves lui échappent au matin… nous pouvons imaginer sa frustration. Et si jamais quelque chose clochait, et qu’elle ne rêvait pas ? Est-il possible de fermer trop fort la lourde porte qui sépare le jour de la nuit ?
POURQUOI MADAME DE LA HALTIÈRE PARAÎT-ELLE TOUJOURS AUSSI SÈCHE ?
DANS QUELLE MESURE CETTE SEMBLANCE EST-ELLE CONFORME À SON RESSENTI ?
QUELLE TRAJECTOIRE OU QUELLE DÉFICIENCE L’ONT-ELLES PRODUITE ?
Hypothèse A : Mme de la Haltière n’a jamais connu l’amour (mais ce n’est pas une vieille fille pour autant)
Le sentimentalisme à la guimauve d’un goût douteux, les épanchements mièvres dignes d’adolescentes prépubères, ou encore le fameux coup de foudre dont suintent les romans à l’eau de rose : une affaire de vieilles filles à chat. Mme de la Haltière a un chat, certes, son adorable Lucifer, le seul être capable de lui décrocher des caresses, le seul être à jamais avoir été affublé de tendres surnoms… mais après tout, qui peut résister à cette frimousse griffue, cette boule de poil mutine ? Non, Mme de la Haltière n’est pas une vieille fille. Le mot lui hérisse les poils. Elle nourrit à l’égard de cette catégorie féminine une haine épouvantable doublée d’une angoisse qui lui noue le ventre, et qu’elle ne s’explique pas elle-même. Le mot « vieille fille » a toujours été pour elle l’insulte suprême. Enfant, le mot lui apparaissait tel un spectre drapé de noir et empreint d’un parfum de fleurs séchées doucereux et entêtant. Une abomination. Une malédiction suprême qui s’abattait sur ses victimes comme une épée de Damoclès, les condamnant à la solitude perpétuelle et à la damnation sociale éternelle. Dès lors, Mme de la Haltière s’est toujours assurée que l’épée en question ne lui tombe jamais sur la tête, quitte à forcer un peu le destin. Amour ou non. Le mariage, voilà comment peut s’accomplir une femme. Elle-même se sent une femme accomplie, et plutôt deux fois qu’une. Deux mariages, deux conquêtes couronnées de succès, deux dindons de la farce, et deux contrats bien ficelés qui lui ont assuré une consécration sociale et une petite fortune digne de ses efforts. À la force du poignet. Dès lors, qu’est-ce qu’elle en avait à faire de ce fichu amour ?
Hypothèse B : Mme de La Haltière fait des tests sur Pandolphe et sa maudite douceur.
Cet homme est tout ce qu’elle n’a jamais été et ne pourra jamais être. Compassion, tendresse et douceur, elle qui n’est qu’orgueil, colère et frustration. Elle ne peut s’empêcher d’admirer et d’interroger dans le plus grand secret cette aptitude inouïe à la douceur. Maudite douceur. Aurait-elle pu apprendre la douceur ? Était-ce quelque chose qu’elle aurait été susceptible d’apprivoiser ? Une sorte de graine que tout un chacun portait en soi et qu’il fallait arroser patiemment un peu chaque jour ? Ou bien était-ce quelque chose d’inné, réservé à une élite ? Comment diable pourrait-elle acquérir cela ? Mme de la Haltière a lu et relu tout ce qui pouvait lui apprendre le secret de la douceur. Elle a par maintes expériences tenté de s’y essayer elle aussi, en toute
discrétion bien sûr — il faut tout de même conserver son autorité — mais tout chez elle trahit son incapacité à ouater ses gestes et ses paroles. Alors que chez lui tout est rondeur et courbes, chez elle, tout est anguleux et sec. Sa voix même est cette dureté ; une lame tranchante et acérée qu’elle dégaine pour un oui ou pour ou non. Sa voix n’est qu’ordres, remontrances et humiliations. Son plus fidèle allié dans les situations critiques devient un ennemi indomptable quand conversations ou situations prennent un tour dangereusement personnel. Elle déteste cet homme pour cela, pour posséder ce qu’elle n’a pas et qu’elle n’aura jamais. Alors, un jour, elle s’est résolue à ne pouvoir détenir la douceur. Puisqu’elle ne pouvait pas la faire naître en elle, elle s’est mise à analyser chez lui les limites de cette douceur. Elle l’étudie depuis comme un objet scientifique et note chaque jour les observations de ses trouvailles le soir dans son carnet. Une sorte de bulletin météo de la douceur de Pandolphe. Comment diable faisait-il pour être si patient ? Et jusqu’à quel point l’était-il ? Était-ce destructible ? Était-ce variable ? Elle le teste chaque jour un peu, le poussant à bout pour tous les prétextes inimaginables. Rien à faire. Tout lui glisse dessus. Un galet lisse et doux et elle est la vague dure et glacée. Plus elle s’obstine et plus lui persiste dans cette maudite douceur indestructible.
Hypothèse C : Mme de la Haltière voulait rentrer au couvent, mais n’a jamais pu.
Son seul et unique amour était, est, et sera toujours, le Christ. Enfant, Eugénie de la Haltière avait su que ce serait lui. Son seul et unique amour. À sept ans, elle avait découvert dans un recoin sombre de la Chapelle familiale une petite statue, une fillette immaculée qui aurait pu être sa sœur tant elle était jeune, un bouquet de rose à la main, un voile de religieuse lui enserrant un visage encore poupin. Elle avait été hypnotisée par la douceur des traits du visage de la sainte, et par la délicatesse de ses mains serrées autour du bouquet. Les Mémoires de la petite Sainte Thérèse de Lisieux, lues en long en large et en travers, à la lumière de la bougie, en cachette jusqu’à l’aube parfois n’avaient plus quitté son chevet. Elle s’était abreuvée de ses mots, jusqu’à en avoir le tournis et la nausée. À douze ans, elle avait su qu’elle aussi deviendrait l’épouse du Christ et avait secrètement nourri l’espoir de prendre le voile. À quinze ans, elle avait décidé de prononcer ses vœux et de rentrer au couvent. Sœur Marie-Eugène de la Charité. Malheureusement, cette sainte destinée n’avait pas recueilli les consentements de Mr de la Haltière père qui s’était empressé de promettre sa trop vertueuse fille à un fils de bonne famille. Mariée à dix-sept ans, contrariée dans son sacerdoce, la douce Eugénie a appelé son chat Lucifer, et s’est juré que, puisqu’elle ne serait pas sainte, elle mènerait un enfer à tous ceux qui cristalliseraient l’échec de ses pieuses aspirations.
L’APPARENCE EST-ELLE PRIMORDIALE AUX YEUX DU PRINCE ?
Hypothèse 1 : la curiosité et l’amour au-delà des apparences
On peut imaginer qu’une des qualités du Prince est de ne pas juger hâtivement une personne sur son apparence physique, qu’il s’attarde surtout sur les qualités de cœur et d’esprit. Peut-être que le Prince, lassé parfois de son quotidien monotone au palais et de ses obligations royales, aime explorer les alentours et les quartiers plus populaires de son royaume pour aller à la rencontre de son peuple.
Pour passer incognito, il se grime de manière à ne pas être reconnu, telle une superstar. Il part du palais par une petite porte dérobée qu’empruntent habituellement les domestiques. Il se rend sur la place du marché où il prend un bain de foule et écoute, curieux, les différentes conversations au sujet de la famille royale.
Il croise alors le regard d’une jeune femme qui lui est inconnue. C’est notre Lucette. Elle fait le marché et presse le pas : elle est encore en retard sur ses tâches ménagères. Cette jeune femme l’intrigue. Il veut en savoir plus, il se met à suivre ses mouvements. De toute façon, lui n’est pas pressé. Il l’observe, l’entend parler avec les commerçants et les passants. Elle l’intrigue. Peut-être décèle-t-il en elle des qualités innées qui vont bien au-delà des barrières des différences de classe sociale ? Sa douceur, sa beauté et sa débordante générosité ? A contrario peut-être est-il attiré par sa simplicité et son côté franc et non guindé qu’il ne retrouve jamais en rentrant au palais le soir ? Il ne sait rien d’elle. Elle semble provenir d’une famille modeste, elle est en guenilles, ses cheveux sont détachés et elle manque de maintien. Mais finalement, elle pourrait parfaitement provenir d’une classe bourgeoise ou même avoir du sang royal ? Peut-être utilise-t-elle alors les mêmes subterfuges que lui ? Tout ce qu’il sait, c’est qu’elle lui plaît.
Hypothèse 2 : Le rejet
On peut imaginer que telle quelle pour entrer dans une soirée « select et branchée », Cendrillon n’ait jamais pu passer les portes d’entrée du palais. La Fée n’aurait pas relooké Cendrillon et aurait misé ainsi sur les qualités de cœur du Prince, sur son ouverture d’esprit ainsi que sa bonté. En vain : les gardes postés à l’entrée du palais font leur travail de videurs. Pourtant il arrive qu’ils ne sachent pas quoi faire dans certaines situations. Dans ce cas précis, Cendrillon étant très insistante, ils appellent le Prince. Il vient, mais ne prête que peu d’attention à la jeune femme. Il lui jette un coup d’œil agacé qu’on l’ait dérangé, sans même prendre le temps de regarder son visage et fait un signe de la tête aux gardes : elle n’est pas la bienvenue ici. Puis, il s’empresse de retourner à la fête pour accueillir ses précieux invités. Cendrillon rentre alors bredouille, en étant au moins certaine d’une chose : elle sera de retour bien avant minuit…
Hypothèse 3 : L’indifférence totale
Finalement il est probable que le Prince, attaché aux valeurs inculquées à la cour, ne daigne s’intéresser qu’aux personnes de sa caste. Il a plusieurs fois croisé Cendrillon lors de ses quelques sorties officielles, mais sans jamais la remarquer. Ces fameux jours où le Prince, accompagné par ses loyaux serviteurs, se rend sur la place du marché de manière grandiose et remarquée. Les habitants, toujours très excités par cet événement, se préparent et se hâtent entendant les clairons annonçant sa venue. Les jeunes femmes à marier, pleines d’espoir, se montrent sous leur meilleur jour et les enfants sont bien habillés et on leur interdit de jouer dans la boue pour l’occasion. Le Prince est annoncé d’abord, puis il apparaît. Tous les habitants se pressent sur la place et à leurs fenêtres espérant l’apercevoir. Il arrive que Cendrillon soit là, et s’arrête en se frayant un chemin parmi la foule pour l’admirer de plus près et écouter les quelques phrases qu’il déclame fièrement. Mais le Prince ne prête alors que peu d’attention aux personnes dans la foule. Sa curiosité est parfois attirée par une ou deux jeunes filles, mais il les oublie aussitôt. Cendrillon en guenilles ne peut pas prétendre en faire partie.
LE PRINCE A-T-IL UN DOUDOU ?
Hypothèse 1 : Le souvenir
Le Prince a perdu sa mère lorsqu’il était très jeune. Il est possible que pour apaiser son chagrin, il ait conservé un objet qui la lui rappelle. Un objet qu’elle utilisait fréquemment par exemple, ou qui portait son odeur, un parfum de réconfort. Peut-être un ruban avec lequel elle ornait sa chevelure ? Ou un gant de soie… Un foulard qu’elle aimait porter. Un napperon qu’elle aurait brodé elle-même… Une peluche qu’elle lui avait offerte quand il était petit ? Ce doudou aura servi de substitut de présence maternelle rassurante. Comme un gri-gri où sa mère s’incarnerait, à défaut d’enveloppe corporelle. Le Prince aura serré l’objet contre lui lorsqu’elle lui manquait trop. Ou quand, se réveillant d’un mauvais rêve, il espérait en vain qu’elle entrât dans sa chambre pour le consoler et l’aider à se rendormir. Peut-être aura-t-il été jusqu’à le porter sur lui pour se donner du courage dans les moments où il ne se trouvait pas à son aise, lors des bals organisés par son père, notamment. Il l’aura sans doute gardé caché sous son oreiller ou dans une autre cachette secrète. En effet, le doudou aura au fil des années revêtu un caractère tellement sacré qu’il aura paru absolument nécessaire au Prince de le garder dissimulé afin d’en préserver le pouvoir mystique. S’il venait à être découvert, le charme serait rompu.
Hypothèse n° 2 : L’animal de compagnie
Le Prince, en plus d’être un grand solitaire, est d’une constitution fragile. Se pourrait-il qu’il soit en plus allergique aux poils d’animaux ? Il serait donc interdit d’accès aux écuries royales, ainsi qu’au chenil où vit la meute de chiens avec laquelle le roi chasse. Pour compenser ce manque de compagnie animale, on lui aura offert un joli chien en peluche. Ou un petit cheval. À moins que ce ne soit un chat au pelage artificiellement soyeux. Peut-être même un ours ou un lapin, faute de pouvoir leur courir après, juché sur un vaillant destrier. Le jouet aura été pour lui un compagnon fidèle. Il l’aura emmené partout comme il l’eut fait d’un véritable animal de compagnie. À chaque fois qu’il aura égaré son ami, il aura fait mettre le château sens dessus dessous jusqu’à ce qu’on le retrouve sous son lit ou dans un escalier de service, sur le bureau du roi ou derrière le trône. En l’absence d’autres enfants au palais, la peluche sera devenue une véritable confidente. En grandissant, il aura conservé l’habitude de lui parler pour mettre de l’ordre dans ses idées. Qui sait si la première oreille à recueillir le secret de l’amour naissant du Prince pour Cendrillon n’aura pas été celle de ce silencieux compagnon ?
Hypothèse n° 3 : L’interdiction
La vie d’héritier d’une famille royale est régie par un protocole strict. L’éducation d’un Prince a pour objectif d’en faire un souverain digne de ce nom. C’est pourquoi la présence d’un doudou dans sa chambre pourrait être considérée comme un enfantillage superflu. Que penserait le peuple d’un futur roi qui traînerait partout derrière lui une vieille taie d’oreiller crasseuse ou une peluche miteuse ? Ce n’est pas comme ça que l’on inspire le respect à ses courtisans et la crainte à ses sujets ! On aura donc pris grand soin de ne pas laisser le Prince s’attacher à ce genre d’objet, que ce soit en lui interdisant de dormir avec une quelconque peluche ou le moindre morceau de tissu suspect, ou en contrôlant minutieusement son stock de jouets : n’auront été autorisés que les armes factices, les petits soldats de plomb et autres bateaux miniatures et chevaux de bois, le tout renouvelé régulièrement pour ne pas laisser au jeune Prince le temps de créer un lien privilégié avec l’un d’entre eux. Il aura sûrement essayé de cacher l’un ou l’autre de ses propres jouets, ou d’autres, obtenus de manière illicite, subtilisés discrètement dans la chambre d’un autre fils de grande lignée au cours d’une éventuelle visite. Mais ses gouvernantes, en découvrant le pot-au-rose, auront systématiquement confisqué ces trésors cachés. Jusqu’à ce que le Prince renonce pour de bon à s’en procurer d’autres et se désintéresse de ses propres jouets auxquels il n’avait de toute façon pas le droit de s’attacher.
À QUAND REMONTE LE DERNIER MOMENT HEUREUX DE PANDOLPHE ?
Première Hypothèse : À l’enterrement de son oncle.
L’ami Pandolphe est toujours très heureux des retrouvailles en famille. Elles lui rappellent son enfance, cette longue table de la salle à manger chez ses grands-parents, avec le cousin dont il était infiniment proche — comme d’un frère qu’il aurait aimé avoir —, jusqu’à leurs douze ans où les parents de Gondalfe avaient dû déménager loin du terreau familial. Alors, il y a dix-huit mois, quand on apprît que l’oncle Frédon avait pris congé des turbulences terrestres, Pandolphe eut l’honnêteté d’admettre à sa femme qu’il était impatient de revoir son cousin à l’enterrement. Pliant bagage avec l’empressement d’un cochon qui sent la pâtée proche, il se remarqua comme une seconde jeunesse. Arrivé aux pompes funèbres avec une heure d’avance, il aperçut Gondalfe près du corps. Les deux cousins se firent une bise généreuse. Pandolphe laissa traîner un regard vers l’oncle qui ne lui fit pas très bonne impression. Bras dessus, bras dessous, nos compères passèrent la cérémonie à se faire des farces et profitèrent du moment au cimetière pour admirer la belle lumière de l’été qui commençait.
Deuxième Hypothèse : Quand Lucette est venue lui dire qu’elle l’aimait.
Vers quatre heure de l’après-midi, après que Lucette eut fini de jouer dans sa chambre, elle descendit au salon, vint près de son père et lui embrassa la joue. C’est alors qu’elle dit : « Je t’aime Papa », puis repartit aussitôt. Il eut une larme à cette ingénuité. Tant de tendresse peut être douloureuse à qui cache en son cœur une profonde tristesse. Il se voyait vieux, timide quant à l’éducation de sa fille, ne pouvant se garantir de voir grandir Lucette très longtemps. Pourquoi ne put-il pas s’empêcher de mêler en lui-même la joie à l’arrachement ? On ne peut que deviner les teintes et les couleurs de l’âme qui voit son naufrage proche. Pandolphe se trouvait fade, raté, envieux. Pourtant, comme la lumière du phare guidant le vogueur, sa fille l’aimait inconditionnellement. Il apprenait par cette enfant que le seul salut de l’homme résidait dans l’amour, et que la quantité des ans n’y changeait rien.
Troisième et dernière Hypothèse : L’ataraxie.
Et si Pandolphe — dont le nom n’est pas sans insinuer une légère tendance à l’affaissement, au bâillement et à la lourdeur — n’était pas en fait le plus sage des hommes ? Peut-être n’a-t-il jamais eu de moments heureux, car en lui règne l’ataraxie, c’est-à-dire l’absence de troubles. Il n’aurait donc pas eu non plus de moments malheureux. Assis dans son gros fauteuil bleu, lisant le journal, il ne serait pas plus attristé par le terrible récit du journaliste parti au Congo rapportant que des milliers d’enfants y meurent de faim chaque jour, qu’il ne serait égayé par l’annonce des fiançailles de sa fille avec le Prince du coin. En somme un homme bien dans ses bottes, pas trop bavard, bon public, simple, bien élevé même s’il lui arrive de se resservir à table sans demander si d’autres en veulent.
QUE SE PASSE-T-IL EN CAS DE DYSFONCTIONNEMENT DE LA BAGUETTE DE LA FÉE, À COURT ? MOYEN ET LONG TERME ?
Hypothèse 1 : à court terme
En cas de casse physique ou d’un dysfonctionnement des composants internes de la baguette d’une fée, il est envisageable que son doigt puisse remplacer l’action de la baguette. Il faudrait un ongle bien long sur ledit doigt qu’elle utilisera. De préférence l’index. Mais il faudra prendre le temps de faire plusieurs tests, ce paramètre peut être variable d’une fée à l’autre.
Hypothèse 2 : à moyen terme
Si la baguette de la Fée ne répond toujours pas et que le doigt perd peu à peu sa « magicité », il va falloir s’armer de patience et de courage. Tout d’abord, trouvez un nouveau support physique à vos pouvoirs : soit une nouvelle baguette. Tout objet de forme similaire à votre précédent outil pourrait faire l’affaire : une tige de datura, une arête de poisson, mais aussi une antenne de radio ou même un stylo. Soyez créatif, ça ne marchera probablement pas du premier coup. Oui, un vulgaire petit bout de bois oblong pourrait marcher aussi. Faites attention cependant, ne vous laissez pas avoir par des appellations usées à tort et à travers : une baguette n’est pas toujours une baguette. Ensuite, — eh oui, ne pensez pas qu’il suffisait de cela pour retrouver vos pouvoirs — Il faudra réaliser une décoction et laisser tremper votre outil pendant la durée de deux cycles de lune au moins. Oui, je vous entends d’ici, c’est long, mais j’ai déjà évoqué la patience nécessaire, alors n’y revenons plus. Et oui : ce n’est qu’une hypothèse. Mais c’est déjà pas mal d’avoir une possible solution ! Donc la décoction : — Tant pour tant œil de liche, queue de margouillat — Une rasade d’eau de pluie fermentée — Une louche de druide de poix. Faites chauffer pendant neuf à dix heures, et couvrez d’un linge humide pendant la durée de deux lunes. Mélangez à chaque demi-lune.
Hypothèse 3 : à long terme
Malheureusement si vous n’avez toujours pas de solution à ce jour, j’ai le regret de vous annoncer qu’il est probable que votre contrat de « magicité » ait expiré. Vous pouvez tenter d’entrer en contact avec Gartinusa, experte en stérilifée. Ou bien résignez-vous : la magie n’est probablement plus pour vous. Habillez-vous à la manière des humains et continuez votre vie dans leur monde. Le temps va vous paraître long. Même infini, oui, ce n’est pas exclu. Et vous allez probablement beaucoup moins vous amuser. Oui, probablement vous faire sacrément *****, comme vous dites. Mais vous aurez chaque matin la consolation d’un bon petit bout de baguette tradition !
Hypothèse 4 : N’a-t-on jamais connu de vieille fée ?
On entend murmurer dans certaines rues étroites et biscornues que la baguette des fées est créée à la naissance de celles-ci, rendant l’une et l’autre indissociables, l’une représentant l’autre. Les fées vieillissantes auraient alors parfois certains dysfonctionnements dans la pratique de leur art, la baguette pourrait alors rencontrer quelques soucis de précision selon que la vue de la Fée soit faiblissante ou non. D’autres problèmes peuvent survenir, tels que mauvais sort ou sort non existant, en fonction de l’état de santé mental de sa propriétaire. Ces fées-là semblent garder leurs baguettes jusqu’à leur disparition mystérieuse. La baguette serait alors récupérée par les êtres de la nature afin de la recycler pour la transformer en magie pure, qui pourrait par la suite être réutilisée pour la construction d’un nouvel objet magique, si la qualité le permet, bien sûr !
Hypothèse 5 : La fée junkie
Un autre bruit de caverne dit encore que les fées ayant perdu ou cassé leur objet magique se retrouvent dans l’obligation d’en faire état à leurs congrégations, qui (exception faite des fées de hautes lignées) renient celles-ci. On dit que la Fée, éloignée de sa famille et encore sous l’emprise de la magie (le temps de sevrage, pour une fée âgée de plusieurs siècles, est très long et bien souvent les fées ne s’en remettent malheureusement pas), cherche par d’autres voies à retrouver un lieu magique afin de se régénérer. On les retrouverait alors dans certaines grottes, près de puits enchantés, à l’affût de la moindre goutte magique. Ces fées ne ressembleraient plus du tout à l’être céleste que nous pouvons avoir la chance de croiser à l’heure où les biches sortent du bois, quand la rosée emperle les champs de diamants merveilleux.
Hypothèse 6 : L’arbre aux fées
Un grand philosophe et cuisinier célèbre émet une autre et tout aussi surprenante théorie : les baguettes de fée auraient une durée de vie plus réduite que leur maîtresse du fait de leur utilisation constante en tant que catalyseur, condensateur du pouvoir des fées. Avant d’aller plus loin, il faut vous expliquer la naissance des baguettes toujours selon cette théorie rondement menée. Chaque fée aurait chez elle un jardin comprenant leur arbre ancêtre, généalogique pourrait-on dire. Cet arbre abriterait simultanément les esprits de tout des ancêtres de la Fée, mais aussi de ses descendants. Une fée sentant approcher la fin de vie de sa compagne baguette viendrait auprès de cet arbre pour faire ce qui est vraisemblablement appelé « le rite des ancêtres ». La fée donnerait alors une partie de son âme à l’arbre sacré. Celui-ci en échange laisserait croître une nouvelle pousse qui deviendrait par la suite très vite une branche. Dans cette branche, la Fée taillerait plus tard sa nouvelle baguette, empreinte du pouvoir de sa longue lignée. C’est ainsi que, petit à petit au fil des siècles, cette essence magique s’augmenterait de l’esprit de la jeune fée, celle-ci disparaissant elle aussi progressivement dans les limbes, pour finalement venir finir sa vie au pied de l’arbre massif, et devenir racine, tronc, branche ou fleur.
COMMENT PROCÈDE LA FÉE LORSQU’ELLE VIENT EN AIDE À UNE ÂME EN DÉTRESSE ?
S’OCCUPE-T-ELLE DE PLUSIEURS PERSONNAGES DE CONTES DANS LE MÊME TEMPS ?
ET, LE CAS ÉCHÉANT, EST-CE LA MÊME FÉE QUI TRANSFORMA PINOCCHIO EN PETIT GARÇON ET POURQUOI SON APPARENCE NOUS EST-ELLE ALORS DÉCRITE SI DIFFÉRENTE À CELLE DE LA FÉE DITE “DES LILAS” ?
Hypothèse n° 1, dite de l’efficacité
La Fée est pragmatique, elle s’occupe des nécessiteux selon l’urgence de leur situation. Par exemple, dans le cas de Cendrillon, les mauvais traitements de la famille de la Haltière sont un facteur aggravant qui place son dossier en haut de la pile. Mais elle se sera occupée de Peau d’Âne bien avant, compte tenu de la menace que représentait son libidineux de père !
La Fée a une apparence propre — à mi-chemin entre Queen Elizabeth II et la Pompadour à ce qu’on dit — qu’elle garde pour la sphère privée. Oui : les clients avaient tendance à se sentir trahis quand ils finissaient par comprendre qu’ils partageaient leur “marraine” avec d’autres. Pas évident, quand on est un peu fragile, d’encaisser que cette précieuse confidente ne soit au final qu’une seule et même businesswoman à la com’ bien léchée. Au bout du compte, elle a mis en place un sortilège qui dilue son apparence pour la rendre optimalement maternante aux yeux du petit patient dont elle s’occupe, augmentant instinctivement les affinités et la confiance ce qui, disons-le, lui fait gagner un temps précieux !
Hypothèse n° 2 : la Multifée
Si l’on se réfère aux théoriciens des Multivers, la Fée est potentiellement présente dans plusieurs des 10 puissance 500 possibilités d’Univers (à savoir un chiffre à 500 zéros). La théorie des cordes permet d’aborder sous un angle quantique la question des variables instables d’un conte à l’autre, qui font paraître les histoires à la fois familières et imperceptiblement décalées. Il est ainsi envisageable que la Fée s’occupe simultanément de plusieurs personnages appartenant à différents univers ; elle serait alors plusieurs versions d’elle-même soumise à de légères mutations. Selon certains courants de l’astrophysique, ces différentes versions pourraient s’influencer les unes les autres sans que l’on sache vraiment à quel point les sujets en ont conscience.
Hypothèse n° 3 : les ailes du désir
Sans qu’aucun n’ait jamais tellement compris pourquoi, les Fées flânent dans le monde des contes. Elles ne savent pas plus quand elles sont apparues que quand elles disparaîtront… Un jour… Dissipées. Évaporées. Dissoutes. Pouf !
Siècle après siècle, elles vaquent sans douleur ni joie dans le monde indifférent… jusqu’à croiser une âme détresse.
À ce point, deux possibilités : la Fée est invisible à ses yeux, et, quel que soit le tracas qui pèse sur la malheureuse, elle est impuissante… mais parfois, un personnage — contrarié par un mariage non consenti, un démêlé avec une sorcière envieuse, quelques rivalités fraternelles — traîne toute sa morosité dans un chemin de sous-bois : la Fée s’allume ! Son petit cœur d’oisillon irrigue de vie ses joues, colore ses iris. Ivre et joyeuse. L’image d’un insecte appâté par une fleur juteuse ! Sentant une présence indiscrète observer le manège de ses pensées, il fait volte-face et tombe nez à nez avec cette silhouette sans âge, affable, vaguement familière. Il est arrivé, regrettablement, qu’un petit garçon ou une jeune beauté aient une peur bleue, arrachés à leurs vagabondages par une inconnue fort inconvenante. Heureusement ces cas sont rares, et la plupart du temps, la Fée sait trouver les mots qui dérident les cœurs les plus fatigués. La collaboration peut commencer.
Atelier d’écriture des relations familiales dans Cendrillon de Massenet, CNSMDP Printemps 2020
Contributions : Aymeric Biesemans, Lisa Chaïb-Auriol, Clarisse Dalles, Floriane Hasler, Marion Vergez Pascal, Margaux Poguet, Emmanuelle Schelfhout, Parveen Savart, Laurence Pouderoux,
Léo Vermot-Desroches, Flore Royer et Joseph Pernoo.