Ça s’écrit comment ?
Très vite il y a des batailles. Je n’y participe plus. Depuis longtemps. Mais elles ont lieu. Tant qu’elles durent, impossible d’écrire une ligne. Je traverse la forêt d’Orient à vélo. Dans mon dos, la rumeur des combats. Une vibration infime. C’est un conflit lointain. Dans les sables. Loin des habitations. Je n’y participe plus. Mais je dois bien fournir les armes et chacune de mes respirations ravitaille la vieille coalition et la guérilla qui la combat. Souffle contre souffle. Pied à pied. Ce soir encore, je n’écrirai pas. Pas une ligne. Les affrontement ont repris du poil de ma bête. C’est la preuve qu’ils peuvent s’arrêter. Il y a des précédents. Des batailles interrompues par une trêve précaire, un drapeau blanc de fine baptiste… Entre le titre et la première ligne, les affrontements ont repris de plus belle. Attendre. Réunir les conditions nécessaires au miracle. Maudire avec méthode ce qui dérobe le temps et l’espace — sol sous les pieds des vers en instance — , ce qui pourrait s’envoler et qui m’est volé. Calculs d’épicière. Chaque distraction pesée est repesée dans une balance hypersensible. Distraction du bruit lointain des combats, s’entend. Hors de question de perdre cet aguet. Mais il trébuche si facilement, le pèse-lettres ! Et là c’est la panique : comment savoir ce qui prépare et ce qui sépare ? Pédaler à fond, empêcher le sang de se figer. La bataille fait rage. Rage de ne jamais pouvoir commencer. Rage que ça commence comme ça, sans moi. Rage des vieux chevaliers des passes d’armes usées jusqu’à l’os qui me ronge : pourquoi écrire ? Pour qui ? Pourquoi moi écrire ? Errer au Marché Saint Pierre. Fleur et oiseau. L’embarras du choix. Le temps incompressible à répertorier toutes les sortes de bleus dans le temps arrêté des tout petits mannequins des tissus Reine, élégamment emballés du dernier cri en matière de soie. Une heure plus tôt une faction défendait encore le bastion des Mille Possibles — Tu ne trouveras jamais. Rien. La sortie — : elle s’amenuise. On n’ose y croire. Les combattants s’en vont vaquer à leurs affaires pacifiques jusqu’à la prochaine fois. La nouvelle de la trêve arrive n’importe quand, le milieu de nulle part m’attrape n’importe où, mais maintenant — MAINTENANT — il faut trouver une borne pour le vélo, entrer dans n’importe quelle boutique pour acheter n’importe quel carnet pour une fois, cette fois entrer dans n’importe quel bar, s’asseoir n’importe où. Finalement il n’y a jamais eu mille possibilités. Il n’y a qu’une ligne. Celle que j’écris ici.
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