Sérail Matin 28/12/17

Hier : nous sommes arrivé.e.s au plateau. Enfin. Déjà.
Wajdi Mouawad dit que le pari insensé de la mise en scène d’opéra réside dans l’obligation qui nous est faite de décider par avance de la dramaturgie, de la scénographie et des costumes. Que c’est comme tirer une flèche dans une cible qui n’existera qu’un ou deux ans plus tard.
En juin 2016, nous avons présenté la maquette du décor que vous traversons à présent sur le plateau. Après avoir été traversé.e.s par lui pendant un an et demi. Vue d’ici et maintenant, il me semble que nous n’avions alors que des pressentiments. La maquette du décor, soudain, était un élément solide, le seul, flottant sur des nuages incertains d’idées, d’intuitions, de préjugés aussi.
Pour cette présentation les 5 théâtres coproducteurs étaient évidemment représentés — et plutôt deux fois qu’une — si bien bien que ça faisait beaucoup de monde — un public, en quelque sorte — pour cet événement.
Nous étions également venu.e.s en nombre. La vieille Garde — Émilie pour la scénographie, Julie pour les costumes et Victor pour la chorégraphie — et puis les nouveaux arrivants : Pierre et Victor.
Pierre à la Lumière, ça faisait des années qu’Émilie en parlait, avec sa mesure et sa délicatesse coutumières. Ils étaient des partenaires anciens. Nous avions eu un rendez-vous manqué, deux ans auparavant, quand je cherchais un éclairagiste à sacrifier sur l’autel bulgare de la reprise épique d’Otello. Pierre avait eu le bon sens connaisseur de ne rien venir faire dans cette galère balkanique, passablement échaudé d’une expérience similaire au Kosovo. La reprise tombait fin juillet, il m’avait fait savoir par Émilie q’iil préférait partir en vacances avec femme et enfants. Ce dernier concept — les … vacances ? — m’était peu familier à l’époque, mais bien qu’un peu vexée de voir mon projet snobé de la sorte, j’avais salué, par avance comme après coup, la jugeote du gars.
Finalement, nous nous sommes rencontré.e.s au printemps pour l’Enlèvement, à quelques encablures de la présentation de maquette. Je me souviens de la terrasse où nous nous sommes assis, Porte de Pantin, pas de ce que nous nous sommes dit. Mais c’était facile de lui faire confiance, avec sa recommandation et son regard à double grands fonds.
L’autre nouveau venue, c’était l’acteur qui devait initialement jouer le Pacha Selim — et qui du fait d’un conflit de dates avec le précédemment cité Wajdi Mouawad a du décliner —. Victor de Oliveira. Je voulais travailler avec lui depuis le Conservatoire. Nous nous étions récemment revu.e.s à plusieurs reprises et l’entrelacs de ses différentes cultures en faisait un apatride polyglotte idéal pour Selim. Et un œil aiguisé pour le jeu.
La présentation s’est faite dans une grande salle de réunion à la Fondation Varenne.
Les tables avaient été installées en rectangle avec grand espace vide au milieu : nous étions loin des commanditaires. De part et d’autres, le nombre des participants impressionnait. Après une présentation technique et sommaire de la dramaturgie, et de la scénographie, j’ai pris l’acteur en otage pour lire, au débotté un poème sur les 1001 nuits de Borges, à deux voix.
Une amarre s’est rompue.
D’ordinaire, on ne lit pas de poèmes pendant les présentations de maquette et encore moins en bilingue.
L’amarre de l’ordinaire, qui pèse si lourd dans son métal de tradition à l’opéra…
L’amarre de l’ordinaire s’est rompue.

Hier, nous sommes arrivé.e.s au plateau et notre navire a déjà parcouru des milliers de milles.

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