6Nov2015

Jeanne au Bûcher | Spoliation

Bientôt, Jeanne au Bûcher de Claudel et Honegger, avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liege. C’est une commande au Café Europa, un drôle de petit enfant-soldat de notre Peer Gynt de Dijon. Un point commun dans les deux œuvres : le propos religieux. Et immédiatement le casse-tête des communicants : comment vendre un spectacle traitant de Ça ? Il y a beaucoup à dire sur cette œuvre, sur ce qu’elle dit, a un être humain, a un citoyen, a une femme, a une artiste… J’aurais l’occasion d’y revenir fréquemment avant le 31 janvier 2016, date de la première, et probablement ensuite. J’ai été interviewée avec une grande pertinence par Stéphane Dado, chargé de mission de l’Orchestre et Professeur d’Histoire Sociale de la Musique pour les anciens de l’Université de Liège, et j’espère du meilleur de ce qui en sortira. D’ici là, je voudrais fournir un petit vade-mecum sur la question. Elle est toujours à peu près tournée de la même façon : Comment au XXIe siècle peut-on intéresser le public a une œuvre a caractère religieux ? Oui, déjà, vous noterez une certaine pudeur dans la formulation. Sans les gants, cela donnerait : comment au XXIe siècle peut-on intéresser le public à une œuvre marquée par son catholicisme ? Et son corollaire : Comment y intéresser le public non catholique ? C’est une question qui ne se pose pas avec le Requiem de Mozart. Parce qu’il y a belle lurette que le néon « Mozart » brille bien plus fort que celui de « Messe des Morts en latin = manifeste de la Contre-réforme ». Et puis parce que la Mort, c’est un sujet que nous avons tous en commun. Jeanne d’Arc, moins. Enfin, nous avons fini par le croire. Nous avons fini par croire que certaines choses de l’Humanité n’étaient pas nôtres, dans un petit chassé-croisé de confusion avec les notions de personnalité et d’identité. C’est à cet endroit précis que je trouve toujours la plus forte motivation de mon geste artistique : je refuse d’être spoliée de mes biens patrimoniaux. Et à l’heure du monde, mon patrimoine est immense. Je refuse que la langue, que les histoires et l’Histoire se fassent séquestrer par quelques-uns. À l’heure ou l’on voit de gens acheter des noms pour en faire des marques déposées, avec la même assurance que des chiens pissant contre la pierre angulaire des palais, je m’insurge. Les mots ne leur appartiennent pas plus qu’à moi. Autant, pas davantage. La langue, on ne m’en coupera pas. Celle des livres sacrés est forte et fondatrice. J’ai appris aujourd’hui la mort de René Girard qui l’a tant défendue dans son humanisme. La littérature chrétienne n’est pas un bloc de propagande, mais un lieu de richesse et de questionnements. Je pense à ces livres qu’on n’ouvre plus tant le préjugé est fort. J’ai passé mon adolescence théâtreuse à médire sur Claudel — ce cul-bénit, ce Tartuffe qui laisse mourir sa sœur dans un asile… — sans en avoir lu une ligne. Et puis j’ai lu par hasard la scène entre Musique et le Vice-Roi de Naples dans le Soulier de Satin. Et j’ai admis ma bêtise, la tête basse, non pas de m’être trompée, mais de m’être moi-même spoliée si longtemps de cet héritage splendide. On fait à Claudel, comme à Jeanne, un mauvais procès. Pourquoi priverait-on les personnes croyantes d’avoir un regard sur leur foi, sur leur religion ? Où en sommes-nous donc pour que dévot ne veuille plus dire qu’intégriste ou faux dévot ? Nombreux sont les scientifiques ayant reçu le Prix Nobel qui déclarent avoir la foi… Nombreux aussi sont ceux, qui, sans croire, étudient avec passion les textes sacrés — Erri de Luca pour ne citer que lui, exégète et « homme qui ne croit pas » ainsi qu’il se définit — ou les figures sacrées. L’Église a été pendant des siècles le commanditaire principal des œuvres d’art en Occident. Nous serions bien inspirés de ne pas jeter le petit roi de gloire avec l’eau du bain, car à cet endroit nous perdrions simultanément ascendance et descendance. Non à la confiscation des biens ! Non à la confiscation du « plus grand personnage littéraire de tous les temps » ! Il en va de même du mot patriotisme, on ose à peine le dire. Comment est-il devenu la chose exclusive des nationalistes, quand Gary disait : « le patriotisme c’est d’abord l’amour des siens, le nationalisme c’est d’abord la haine des autres » ? Le mot, les mots, il faut les voler dans les églises, les faire notre, leur redonner des couleurs, comme Hugo dans Les Burgraves : « Un jour, espérons-le, le globe sera civilisé. Tous les points de la demeure humaine seront éclairés, et alors sera accompli le magnifique rêve de l’intelligence : avoir pour patrie le Monde et pour nation l’Humanité ». À suivre, donc…

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