UN BON ÉTÉ / TIERS LIVRE /ENTRE DOUBLE CROCHETS

…l’image je la laisse venir dans un demi-sommeil d’enfant
[5]

j’aimais les puzzles mais pas trop les bords des puzzles et encore moins les coins des bords des puzzles qui les enfermaient à double tour dans l’image pour seule fenêtre, coincé à la maison, collé au carreaux, tout le jour comme un petit malade

[6]

tandis que quelque part en bas ça se passait sûrement, quelque chose, dans la rue, dans la ville, dans le globe terrestre qui fait de la lumière jusqu’à ce qu’on ait bouffé toutes les piles des piles de sel de la terre et ça c’est toujours et encore la terreur suprême qui rend poulet, qui chocotte et plus bouger caché dans le placard tout feux éteints, guettant le Grand D’ombre

[7]

dans le demi-sommeil, le Chevalier sans peur se rapproche, lui, l’unique à l’avoir retrouvée la boule de Sacha à chaque fois et parfois, aussi celle de grand-mère Alice, qui roulent loin très loin des bords, dans des bordées de pensées — en velours violet et jaune, avec des petits coeur de trou du cul tout noirs — qui se sont tirées sans retour, sans histoire du soir et sans bisou bye-bye petit gnou, c’est au revoir le sommeil, la somme des moutons qui sont des lapins en papier sur le mur s’en garde la moitié reste le demi-sommeil, et plein de demi-sommeils ça fait des demi-sommeils, mais jamais un vrai gros sommeil qui est toujours absent comme le “s” à demi, faut pas y compter, sans bisou bye-bye petit gnou, un seul programme : un demi-sommeil d’enfant j’aimais les puzzles mais je n’aimais pas coins, ça c’est clair à présent, mais encore moins les points qui bouclaient la parole comme un quartier d’impasses, cric-crac l’affaire est dans l’ cul-d’sac où des sacs à culs se presse au pas de courses sans sac oublié à la maison — quand on a pas de tête dans son cul on a des jambes — les points invisibles criaient sans arrêt : Stop ! Stop ! Stop ! Majuscule si fort que la phrase ça l’assommait d’un coup du lapin et puis on lui retire son pyjama : Stop ! Stop ! Stop ! à tout bout de chant et c’était la panique que ça s’arrête et avec mon élan de tomber au bout de la terre aplatie par les vielles lunes de charabia qu’il fallait avaler comme des couleuvres au goût caramel, pour m’endormir pour de bon, pour m’empêcher de me sauver si le Grand D’ombre ne venait pas, aussi pour moi, s’il ratait son coup avec Sacha et Alice, s’ils me tombaient dessus en culbutant sur les bordures de briques et de faïence de leurs pensées et m’écrasait sous leurs pois de pyjama avant que j’aie pu filer à l’anglaise par des routes toujours ouvertes en surfant, comme papa les bons jours, sur l’onde verte, à travers une ville-puzzle sans bords, ni coins, ni points.

[5] La valeur inestimable du témoignage de R. Dewhite n’a jamais été contestée, et il n’est pas question ici de se livrer à un examen dont aucun d’entre nous n’est digne ni capable. Cependant, nous laissant tout ensemble le mode d’emploi et son application dans ce seul — et bref — enregistrement, dont les parasites laissent, encore aujourd’hui, le sens de certains mots en disputes — en italique dans le corps du texte —, ce que nous sommes convenus d’appeler la Pierre de Rosette des rêvoyures est loin d’avoir livré tous ses secrets. La notion même du « demi-sommeil d’enfant » restant sujet à une exégèse sans limites à ce jour, tant dans l’interprétation que dans l’expérimentation qui l’accompagne parfois. Ce « demi-sommeil d’enfant », il n’est fait mention nulle part des moyens par lesquels R. Dewhite y accède (hypnose, pendule, ancre profonde, drogue… ?), ni de ce que cette expression recouvre exactement pour lui (profonde détente, endormissement, sommeil paradoxal, rêverie, état méditatif… ?). On a cru trouver des précisions techniques dans le passage dit la travailleuse d’Alice du Carnet 29 : Convoquer une attention flottante. Réunir les conditions nécessaires au miracle, sans se montrer trop regardant. Poser le regard sur ce qui s’offre spontanément, le premier nom mentionné par le premier venu, plateau d’argent du tout venant. Commencer quelque part — la toute petite main fouille à l’aveuglette la travailleuse d’Alice, toujours ouverte, attrape un fil de laine et tire… tire doucement en reculant vers la porte. La pelote framboise ne permet pas de dépasser le fauteuil à oreilles, mais sous son coussin lustré par les siestes du chat, une fois, il y a eu une pièce de 5 francs. La pelote turquoise est suffisante pour relier le pied de la travailleuse à la poignée de la porte du salon et rêver à un téléphérique qu’on recevrait en cadeau pour Noël ou qu’on bricolerait avec une petite boîte de carton gris et de l’aluminium, si on en avait, jusqu’à ce que quelqu’un ouvre la porte et patatras la cabine et tous les skieurs dans le lac du barrage de Tignes, où ils reprennent leurs activités habituelles dans le village englouti comme si de rien n’était… sauf si quelqu’un se prend les pieds dans le fil mou qui traîne par terre et crie mon nom très fort, un jour on finira par provoquer un accident — (…), mais les avis concernant la fiabilité même des Carnets en tant que source originale diffèrent à l’Académie, de sorte que la communauté scientifique se cantonne à ce qu’il faut bien appeler un tâtonnement empirique

[6] Une extrapolation du troisième groupe d’investigation a rapproché cette fenêtre des vers :
Les pensées ont le cœur noir.

Les pensées sont les fleurs d’un mal lointain et puissant, comme le thé, infusant le sacré dans leurs robes de fêtes épiscopales, velours de violet profond, jaune de dimanches jamais ordinaires, rouge intérieur du calice.
Les pensées sont fragiles, délicates et raffinées, bien téméraire pourtant celui qui les diminue en fleurette, même dans le secret d’un mot d’esprit, d’un moment d’ennui à ras bord de la fenêtre.
(cf Carnet 32, printemps). Là encore, la source n’est pas authentifiée. Les vers sont de la main de R. Dewhite, mais peut-être les tenait-il de quelqu’un d’autre, de l’enfance, justement ? Pour ceux et celles qui s’obstinent à considérer cette source comme biographique, et non onirique ou poétique, la question de l’identité du malade demeure : lui ou bien son frère ?

[7] L’identité du Grand D’ombre n’est plus, elle depuis longtemps, un mystère (il s’agit de la Chenille, également connu.e sous des pseudonymes comme : Walter Hesias, Pilar Carter, Schöne Hilde, Yves Lejeune C. Laguenille… dans 6 ou 7 langues européennes, indifféremment féminins et masculins), mais l’origine du terme… Peut-on être sûr que cette appellation, en apparence enfantine, n’est pas un baptême postérieur aux premières rêvoyures, dont la texture laissait souvent à désirer, notamment sur le plan visuel ? Cette théorie, soutenue tambour battant par la première équipe de datation, est très contestée par ailleurs, notamment par les membres restant du Squat Sang noir, qui s’agace régulièrement de voir les équipes de datation fouiller les donner pour les retourner en tous sens, et s’obstiner à « trouver midi à quatorze heure ».

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