Racontement #1

Il y avait de très nombreuses choses en cours, des projets, des ambitions rassies ou encore à assouvir, des espoirs naissant de la cendre des morts, des surprises, des petits arrangements, des séparations aux douleurs ondulantes, des relations, l’amour même, la famille grandissante et vieillissante, des gants esseulés, des déceptions amicales qu’on ne raccommoderait pas, des obligations qui changeaient leur face morne pour quelque chose d’inaperçu jusqu’alors, un stylo bleu écrivant noir toujours retrouvé, des papiers à refaire, des vaccins qu’on ne referait plus, une bibliothèque à désherber, le vaillant goût du thé dans la tasse trop blanche de l’hôtel, des lieux habités et d’autres délaissés, des pointes de culpabilité tellement en symbiose avec le corps qu’elles semblaient des éclats d’obus dans la tête d’un aïeul…   

Et l’Ourse apparue
Géante, même à quatre pattes
Toutes les voix se turent dans la promeneuse.
D’un coup de surprise, mutuelle.  

Elle ne voulut pas s’empêcher de la regarder ni songer aux consignes prodiguées dès l’enfance au cas improbable d’une semblable rencontre. Son sang l’avait quittée, mais le silence des voix qui n’avaient plus cours était comme le calme. L’odeur de l’animal, elle l’avait déjà sentie chez les hommes qui dorment trop longtemps dehors. En ville, elle lui avait souvent retourné le cœur, parce qu’alors, cette odeur était empoisonnée par la détresse, si loin des nuits de belles étoiles des petits garçons.
L’Ourse sent terriblement fort. Elle traîne la puissance de tous les arbres et de tous les esprits des animaux morts dans son sillage. Enfin, elle se dresse ! La promeneuse pleure : rien dans sa vie n’a égalé cet instant.
Alors l’ultime voix dit : Oui. De toi je mourrai volontiers.

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