Sérail Hors-Série / 100 remèdes

Tu me demandes de le faire alors je le fais.
Pendant des années, j’ai dosé les drogues, mélangé les herbes, préparé les baumes pour que tu puisses danser autour du volcan des fêtes et des rixes, pour que tu apparaisses chaque soir, au Sérail, gracieux sur la corde raide dans l’équilibre mince comme le fil de ta vie. Et chaque matin je te récupérais en lambeaux de chair, en morceaux épars où l’homme les souvenirs et les rêves pêle-mêle pesaient un mort à traîner jusqu’à ta chambre, in extremis.
— Comme elle les fait rêver dur, ta chambre, ô mon pacha Selim ! Le moelleux carnivore, l’obscurité cuivrée, les vieux ors immémoriaux, les sueurs raffinées et les essences brutes, les cuirs de tous les animaux, les bois précieux inextinguibles… — Personne ne sait encore. Que toi et moi. Le coffre d’apothicaire, les cornues, les réchauds… Ce laboratoire de ta survie et le tapis presque transparent où tu trouves parfois une poignée de sommeil. Tu murmurais : aide-moi à tenir jusqu’au soir, à revenir, donne-moi un coma d’où me réveiller, recouds, cautérise, ouvre, pique, fais ce que dois.
Tu me demandais de le faire alors je le faisais.
Les cent remèdes sur toi je les ai essayés et améliorés. La magie des ressources nous l’avons usée jusqu’à la trame pour que nuit après nuit renaisse le splendide Selim , Selim l’Ardent, dans son habit de feu.
L’immense chagrin de ton amour, tu n’as eu de cesse d’aller le réouvrir, sur des vedettes américaines, des escorts de haut vol aggravé, des fleurs exotiques et vénéneuses entrevues par la fenêtre rapide des voyages. Et toujours, tu me demandais de le faire alors je le faisais, j’ai suturé, de l’inlassable aiguille brûlante à points comptés. Mais ta peau, ta peau magnifique s’affinant , même mes plus subtils raccommodages finissaient par la déchirer.
Il y a un mois, tu as dit que le temps était venu de ne plus souffrir pour ne plus réparer. Souffrir une fois pour toutes. Je te sèvre. Je te donne à mordre dans les racines de gingembre les plus dures, je me couche de tout mon poids sur toi quand ton corps se convulse. J’enferme tes cris et tes sanglots dans des flacons de verre. J’ai mis de la cire dans mes oreilles, pour ne pas t’entendre me supplier, pour ne pas que tu aies honte un jour de m’avoir suppliée. Ton âge rattrape ton visage, ton corps se replie sur le manque. Quarante jours et quarante nuits, je te sèvre, mon Pacha Sélim. Parce que tu me l’as demandé, souviens-toi, alors je le fais.

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